Le mirage de la croissance économique

Palestinian NGO Network
Allam Jarrar

La situation économique et sociale semble s’améliorer dans les territoires palestiniens occupés grâce à une injection de fonds de donateurs en Cisjordanie, mais la situation générale continue d’être fragile. Ceci est particulièrement vrai pour la bande de Gaza où le siège et le blocus d’Israël se poursuivent, ce qui entrave les possibilités de développement et perpétue une crise humanitaire de plus en plus profonde.

En dépit du renouvellement de l’aide pour la Cisjordanie de la part des donateurs, qui a produit une augmentation apparente de la croissance économique, le Produit intérieur brut (PIB) réel des territoires palestiniens occupés (TPO) ne s’est pas modifié et la situation économique et sociale reste fragile. Cela est spécialement vrai pour la bande de Gaza où la continuité du siège et du blocus israéliens entravent les possibilités d’emploi et de développement. Depuis que le siège a été imposé en juin 2007, le nombre de réfugiés qui vivent dans l’extrême pauvreté a triplé [1] . Selon l’ONU, 60,5 % des foyers de la bande de Gaza manquent actuellement de sécurité alimentaire[2] .

Au troisième trimestre 2009, le taux de chômage dans les territoires palestiniens occupés est descendu à 31,4 %, une légère baisse par rapport à la même période en 2008. Cependant, parmi les jeunes le chômage atteignait 67 %[3] . Seulement une femme sur sept avait un emploi. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en mai 2008, au moins 70 % des familles vivait avec moins d´un dollar par jour. Au troisième trimestre 2008, 51 % des palestiniens vivait en dessous du seuil de pauvreté (56 % de la population de la bande de Gaza et 48 % en Cisjordanie), dont 19 % dans l’extrême pauvreté.

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) attribue cette amélioration à un taux de croissance accéléré et à un taux d’emploi à peine plus élevé, bien qu’il continue d’être exceptionnellement bas selon les normes internationales : environ 15 % tant à Gaza qu’en Cisjordanie[4] . Selon le Bureau central de statistique de Palestine, le taux de chômage en Cisjordanie est de 23 % et de plus de 50 % dans la bande de Gaza[5] . Le taux de chômage à Gaza est l’un des plus élevés au monde.

La bande de Gaza est aussi considérée comme la zone du monde qui dépend le plus de l’assistance ; selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 80 % de la population dépend de l’aide alimentaire[6] . Pendant la deuxième moitié de 2008, 33 % des foyers de Cisjordanie et 71 % de ceux de Gaza ont reçu de l’aide alimentaire et les aliments ont représenté environ la moitié de toutes les dépenses des foyers. En mai 2008, l’ONU a calculé que 56 % des habitants de Gaza et 25 % des cisjordaniens manquaient de sécurité alimentaire[7] . En même temps, à Gaza la dénutrition chronique a augmenté durant ces dernières années, atteignant 10,2 %[8] .

Gaza et Cisjordanie : deux réalités

Le blocus israélien de la bande de Gaza, où vivent 1,5 million de personnes, a provoqué depuis 2007 la fermeture de 98 % des opérations industrielles ainsi qu’un grave manque de carburant, d’argent en espèces, de gaz de cuisine et d’autres fournitures essentielles.

L’interdiction d’importer du matériel de construction a rendu impossible la reconstruction de quelque 6400 logements détruits ou sévèrement endommagés lors de l’opération militaire israélienne à Gaza en 2008-09[9] ainsi que la construction d’environ 7500 nouveaux logements dont la population toujours croissante a besoin. Quelque 3500 familles sont encore déplacées[10] .

Le blocus et l’opération militaire israélienne ont détruit l’infrastructure d’acheminement d’eau et d’assainissement : des barrages, des puits et des milliers de kilomètres de tuyaux, entre autres. Les problèmes de santé liés à l’eau sont monnaie courante. Gaza subit aussi une sévère crise électrique. Le réseau ne peut fournir que 70 % de la demande à cause du manque de fonds nécessaires à l’achat de carburant pour l’usine électrique et du manque de pièces de rechange, provoquant de multiples défaillances techniques[11] .

D’autre part, l’économie de la Cisjordanie semble être en train de se développer depuis le début de l’année 2009, en partie grâce à l’affluence de fonds de donateurs mais aussi grâce à l’allègement des restrictions de mouvement et l’atmosphère plus sécuritaire a augmenté la confiance des investisseurs et stimulé l’activité économique. Le Fonds monétaire international a fixé la croissance à 7 %  en 2009[12] .

Gaza : un blocus contre la santé des gens

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’économie instable, le chômage en hausse et le délabrement des services d’énergie, d’assainissement et de santé conduisent à une plus grand détériorarion des conditions de vie et de santé de la population de Gaza.

Dans un communiqué de presse du 1er juin 2010, l’OMS a réitéré sa demande pour qu’Israël permette le libre accès dans la bande de Gaza à l’approvisionnement médical essentiel, tels que les équipements et médicaments, ainsi que davantage de liberté d’entrée et de sortie du territoire pour les personnes qui reçoivent une formation médicale et pour les appareils médicaux devant être réparés[16].

Selon Tony Laurance, directeur du bureau de l’OMS de Gaza et de Cisjordanie, une centaine d’articles d’équipements obtenus par l’OMS et d’autres organisations humanitaires attendent depuis plus d’un an le permis d’entrée à Gaza, parmi eux des appareils de tomographie, de radiographie, de fluoroscopie, des bombes d’infusion, des gaz pour la stérilisation des équipements médicaux, des batteries d’alimentation ininterrompue et des pièces de rechange pour les systèmes de soutien tels que les ascenseurs.

« Il est impossible de maintenir un système d’assistance médicale sûr et efficace dans les conditions de siège existantes depuis juin 2007 » a protesté Laurance.
« Il ne suffit pas simplement d’assurer des fournitures telles que les médicaments et le matériel consommable. Il est nécessaire de disposer d’équipements médicaux et de pièces de rechange et de les maintenir en bon état ».

Le blocus de Gaza affaiblit le système de santé, limite les fournitures médicales et la formation du personnel de santé et empêche que les personnes atteintes de graves problèmes de santé puissent circuler hors de la bande de Gaza pour recevoir des traitements spécialisés.

L’opération militaire israélienne de 2008 - 2009 a endommagé 15 des 27 hôpitaux situés à Gaza et a endommagé ou détruit 43 centres de soins de santé sur les 110 existants. Aucun d’eux n’a été réparé ou reconstruit parce que le blocus comporte l’interdiction d’importer du matériel de construction[17] . Il existe habituellement des difficultés d’approvisionnement pour les médicaments essentiels de l’ordre de 15 à 20 % ; les pièces de rechange essentielles pour de nombreux appareils médicaux sont souvent introuvables[18] .

L’asphyxie du système de santé a interrompu la diminution continue du taux de mortalité infantile enregistrée pendant les dernières années. Il est même possible que le taux ait augmenté à Gaza, où il est 30 % plus élevé qu’en Cisjordanie[19] . Parmi les maladies infectieuses à déclaration obligatoire, les diarrhées liquides aiguës avec émission de sang et l’hépatite virale sont les causes les plus importantes de morbidité à Gaza.

« Les journalistes me demandent souvent si je définis la crise à Gaza comme humanitaire et je réponds qu’elle est bien plus qu’humanitaire. Elle est beaucoup plus grave » , a déclaré Filippo Grandi, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) [20] . « On peut faire face à une crise humanitaire avec des médicaments et des aliments ; ici la situation est beaucoup plus grave. Il s’agit d’abord d’une crise de l’économie : les gens sont très pauvres. C’est une crise des institutions et des infrastructures. Remettre cela en ordre prendra des années ».

Les services de santé en Cisjordanie se sont aussi améliorés au cours de l’année précédente, grâce à la diminution des restrictions de mouvement ainsi qu’aux efforts du ministère de la Santé palestinien et au soutien de donateurs et autres parties prenantes. Cependant, l’impact du «  mur de séparation » israélien et l’accès limité aux hôpitaux de Jérusalem-Est, vers lesquels le ministère de la Santé a dirigé 50% des cas en 2009, continuent d’inquiéter (voir encadré) [13] .

Mouvement et isolement

La restriction d’accès continue d’être le facteur qui limite le plus la croissance économique. En Cisjordanie, les fermetures sporadiques des postes-frontières et les conditions politiques instables entravent toujours le travail et réduisent la productivité.

Les restrictions d’accès et de déplacements en Cisjordanie, même à Jérusalem-Est, comprennent entre autres, le mur de séparation, les postes de contrôle et d’autres obstacles physiques ainsi qu’un système de plus en plus sophistiqué de permis. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) de l’ONU, le nombre de postes de contrôle et d´ obstacles physiques a dépassé le chiffre de 620 au cours de l’année 2009. Ces empêchements continuent d’asphyxier l’activité économique et d’endommager les réseaux sociaux ainsi que le bien-être de la population.

Les actions des israéliens pour réduire le nombre de palestiniens qui vivent et travaillent à Jérusalem-Est l’isolent chaque fois plus du reste de la Cisjordanie. Les habitants arabes de Jérusalem-Est doivent faire face à beaucoup de formes de discrimination. En Israël le chômage est beaucoup plus important parmi les citoyens arabes et le mécontentement augmente. Une enquête récente de l’université d’Haïfa a montré que 48 % des citoyens arabes d’Israël n’étaient pas satisfaits de leur vie dans l’État d’Israël, par rapport à 35 % en 2003[14]. L’une des raisons est l’annonce de l’intention du Gouvernement israélien de continuer d’étendre les colonies à Jérusalem-Est, en dépit des protestations des organisations de la société civile[15] .

Les enjeux futurs

La grave situation économique, sociale et humanitaire dans les territoires palestiniens occupés lèse les droits des citoyens jour après jour et anéantit toutes les chances de progrès économique.

Tandis que l’aide au développement économique et social est toujours indispensable, l´enjeu principal auquel la Palestine doit encore faire face est l’occupation israélienne. C’est pour cette raison que l’objectif de n’importe quel soutien aux palestiniens, mise à part l’aide humanitaire, devrait être d’aider la communauté palestinienne à réussir un développement national. L´enjeu est de commencer le processus en comptant sur des mécanismes qui assurent l’inclusion et la participation des palestiniens dans l’élaboration de l’agenda de développement. La coopération entre les acteurs locaux et internationaux prendrait un nouvel angle rapprochant ainsi davantage leurs politiques des aspirations et des besoins des gens.

Le processus de développement devrait comprendre des politiques économiques et sociales plus inclusives et en même temps encourager le dialogue et la compréhension entre les peuples de la région. Un développement économique et social qui garantisse le bien-être du peuple palestinien exige une solution politique du conflit fondée sur la création d’un État palestinien indépendant, démocratique et durable, qui coexiste en paix et en sécurité avec tous les pays voisins.

 

[1] Amnesty International, "Gaza asphyxiée : les conséquences du blocus israélien pour les palestiniens", le 1er juin 2010. Disponible sur : http://www.amnesty.org/fr/news-and-updates/suffocating-gaza-israeli-bloc....

[2] FAO/PAM Socio-Economic and Food Security Survey Report 2 – Gaza Strip, novembre 2009. Disponible sur : <www.unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/3C235308657198298525771A00688E0F>.

[3] IRIN News, "OPT: West Bank health and economy up a bit, Gaza down", le 18 mai 2010. Disponible sur : <www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=89169>.

[4] Nouveau rapport de l’OIT sur la situation des travailleurs dans les territoires arabes occupés, le 10 juin 2010. Disponible sur: <www.ilo.int/global/About_the_ILO/Media_and_public_information/Press_releases/lang--es/WCMS_141540/index.htm>.

[5]  Voir : <www.pcbs.gov.ps>.

[6]  "International aid agency: 80 percent of Gazans now rely on food aid", Haaretz, le 3 avril 2007.

[7]  PAM, FAO et UNRWA, Joint rapid food security survey in the Occupied Palestinian Territory, mai 2008. Disponible sur : <www.unispal.un.org/pdfs/RapidAssessmentReport_May08.pdf>.

[8] FAO et PAM, Occupied Palestinian Territory - Food security and vulnerability analysis report, décembre 2009. Disponible sur : <unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/FC44A5D7F00AA567852576960059BEB4>.

[9] Voir : "Pauvres et emprisonnés", Rapport social Watch 2009 : Les gens d’abord. Disponible sur : <www.socialwatch.org/es/node/458>

[10]  IRIN News, op. cit.

[11]  Ibid.

[12]  “Signs of Hope Emerge in the West Bank”, New York Times, le 16 Juillet 2009. Disponible sur : <www.nytimes.com/2009/07/17/world/middleeast/17westbank.html>.

[13]  IRIN News, op. cit.

[14]  Sawsan Ramahi, "Israel's discrimination against its Arab citizens", Middle East Monitor, juin 2010. Disponible sur : <www.middleeastmonitor.org.uk/resources/briefing-papers/1230-israels-discrimination-against-its-arab-citizens>.

[15]  “Netanyahu : "Israel will keep building in Jerusalem" Haaretz, le 15 mars 2010. Disponible sur : <www.haaretz.com/news/netanyahu-israel-will-keep-building-in-jerusalem-1.264791>.

[16] OMS, "Unimpeded access of medical supplies needed for Gaza,” Communiqué de presse du 1er juin 2010. Disponible sur : <www.emro.who.int/palestine/reports/advocacy_HR/advocacy/WHO%20-Press%20statement-June2010.pdf>.

[17] IRIN News, "OPT: West Bank health and economy up a bit, Gaza down", le 18 mai 2010. Disponible sur : <www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=89169>.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Ibid. Pour plus d’information sur le travail de l’UNRWA (OOPS) voir : <www.unrwa.org>.