INDE

Haltes en chemin et occasions perdues

Himanshu Jha
Social Watch India

Bien qu’il existe des indicateurs qui prouvent que la situation de l’Inde n’est pas la  pire, de nombreux secteurs se sont retrouvés affaiblis suite à la détérioration de l’économie mondiale et d’autres n’ont pas maintenu leur niveau de croissance. Par exemple, la croissance en prêts personnels, en prêts à la consommation et à la production a été freinée. L’inflation, la hausse du chômage et la dégradation des investissements directs étrangers sont autant d’impacts ajoutés. Le Gouvernement doit trouver un équilibre entre les réformes économiques visant à stimuler la croissance et le besoin de soulager les 250 millions d’Indiens vivant dans une misère extrême.

En dépit de l’hypothèse de « déconnexion » selon laquelle les économies émergentes seraient à peine touchées par la crise financière mondiale grâce à leurs réserves de devises, à la stabilité des bilans des entreprises et à la relative solidité des secteurs bancaires, nombreuses sont celles qui en ressentent déjà les effets1. Parmi ces économies se trouve celle de l’Inde dont la croissance­ s’est fortement ralentie – passant d’un solide 9,3 % en 2007 à 7,3 % en 2008. Pour 2009 le FMI prévoit une croissance de 4,5 %2.

L’effondrement de la bourse des valeurs en 2008 a prouvé que la crise s’accentuait encore et les marchés n’ont pas encore réussi à s’en remettre. Bien qu’il soit difficile de prévoir le dénouement de cette situation, il est clair que les pronostics initiaux du Gouvernement sur l’immunité du pays face à la crise ont péché de prévoyance. Il est important d’en étudier les retombées sur les populations pauvres et marginalisées de l’Inde, ainsi que l’efficacité des réponses gouvernementales données jusqu’à présent.

Impacts de la crise économique

On peut facilement en observer l’impact avec le ralentissement de la croissance industrielle, l’inflation, la croissance du déficit de compte courant, l’effondrement de la bourse des valeurs et la dévaluation de la monnaie nationale, la roupie. La crise financière a été accompagnée également d’une hausse des prix de certains aliments. Selon l’Indice des Prix de Gros (IPG), le riz coûtait 12,8 % de plus en mars 2009 qu’en mars 2008 face à une diminution  mondiale de 1 %, alors que le blé a augmenté de 5,2 % face à une diminution  mondiale de 47,5 %. L’inflation est passée de 7,7 % en mars 2008 pour atteindre un sommet de 12,9 % en août 2008 (il convient de signaler que l’IPG a brusquement chuté à 0,3 % au mois de mars de cette année). L’inflation annuelle des prix des matières premières de base met en évidence la gravité du problème. L’inflation des prix à la consommation s’est située entre 9,6 % et 10,8 % en janvier/février 2009, face à 7,3 % - 8,8 % en juin 2008 et 5,2 % - 6,4 % en février 20083.

L’impact le plus immédiat de la crise s’est répercuté sur les fonds d’investissements étrangers (Foreign Institutional Investment : FII). Entre avril 2008 et mars 2009 une fuite de 15 milliards d’USD du marché des valeurs a été enregistrée, contre une entrée de 20.300 milliards d’USD pendant la même période en 2007-2008. Cette même tendance a été enregistrée dans d’autres investissements de portefeuille d’actions tels que les American Depository Receipts (certificats nominatifs négociables émis par une banque des États-Unis) /Global Depository Receipts (transactions hors des États-Unis)4.

Le recul du FFI, qui atteignait 66,5 milliards d’USD début 2008, déclencha l’effondrement de la bourse des valeurs et par voie de conséquence le sensex, l’index des entreprises les plus importantes du pays, « tombant d’un point maximum de clôture de 20.873 le 8 janvier 2008 à moins de 10.000 le 17 octobre 2008 »5. Les évasions de FFI entraînèrent à leur tour une brusque dévaluation de la roupie, qui a chuté de 39,99 par USD en mars 2008 à 52,09 par USD en mars 2009. La roupie est devenue également plus faible face à d’autres monnaies, dont l’euro (6,5 %), le yen (22,8 %) et le yuan (23,6 %)6. Même si ces dévaluations pouvaient sembler bénéfiques aux exportations de l’Inde, la détérioration des économies des États-Unis, de l’Union européenne et du Moyen Orient – qui constituent les trois quarts du commerce en biens et services de l’Inde – a provoqué une carence de la demande. D’une croissance de 24,5 % entre avril 2007 et novembre 2008, les exportations ont chuté à 17,6 % pendant les mêmes mois en 2008 et 20097.

Il est vraisemblable que le ralentissement de l’exportation de services s’accentue aussi « à mesure que la récession s’aggrave et que se restructurent les entreprises financières – traditionnellement les principales utilisatrices de services de sous-traitance »8. D’autre part, pour ceux qui se sont engagés à effectuer leur paiement en devises, la dévaluation de la roupie n’est pas une bonne nouvelle et ne favorise pas non plus les efforts du Gouvernement pour freiner l’inflation9.

Le ralentissement de la croissance de la production industrielle est un fait indéniable puisque le taux annuel d’expansion, qui s’élevait à 8,8 % entre avril 2007 et février 2008, est descendu brusquement à 2,8 % pendant la période 2008-200910. L’Indice de la Production Industrielle (IPI) a enregistré une croissance moyenne de 5,6 % entre avril et juillet 2008, il est tombé à 1,7 % en août puis il s’est rétabli, atteignant un taux comparativement solide de 6 % en septembre. Cependant, l’IPI a de nouveau enregistré une croissance négative entre décembre 2008 et février 2009. Le rythme de croissance du secteur manufacturier a chuté, passant de 9,3 % pendant la période 2007-2008 (d’avril à février) au taux escompté de 2,8 % pour la même période en 2008-2009. Le secteur fondamental de l’infrastructure a progressé à un rythme de 3 % pendant la période 2008-2009 (d’avril à février), contre 5,8 % pendant la même période en 2007-200811.

De plus, les banques sont en train de réduire les crédits qu’elles accordent. Entre février 2008 et février 2009, le taux de croissance a chuté de façon considérable, passant  de 12 % à 7,5 % pour le logement, de 13,2 % à 8,5 % pour les prêts personnels et de 5,9 % à -14,5 % pour les biens d’équipement des ménages12.

Interventions pour freiner la chute

Suite au sommet du G-20 de novembre 2008 le premier ministre a désigné un groupe, placé sous sa propre présidence, chargé d’élaborer un plan détaillé pour une intervention de l’État appropriée et opportune. Les autres membres de ce groupe étaient le ministre des Finances, le ministre de l’Industrie et du Commerce, le vice-président de la Commission de Planification et le directeur de la Banque de la Réserve de l’Inde (RBI). Les mesures furent regroupées en « séries de programmes de relance » ; la première fut annoncée en décembre 2008 et la seconde en janvier 200913. Parmi les mesures annoncées figuraient des déboursements de 20 milliards d’INR (4,15 milliards d’USD) pour mener à bien des plans essentiels à l’infrastructure rurale et la Sécurité Sociale, une diminution globale de 4 % de la taxe sur la valeur ajoutée centrale (CENVAT en anglais), des mesures spécifiques visant les tarifs douaniers pour des secteurs tels que l’acier et le ciment, ainsi que des exonérations d’impôts et des augmentations des taxes de remboursement d’impôts pour les exportations.

Certaines mesures supplémentaires ont également été adoptées, comme la subvention des taux d’intérêt et des crédits pré et post embarquement pour les exportations employant beaucoup de main d’œuvre ; des facilités pour le refinancement de 40 milliards d’INR (831 millions d’USD), quant au secteur du logement, pour la Banque Nationale du Logement et de 70 milliards d’INR (1,5 milliard d’USD) pour la Banque de Développement de la Petite Industrie de l’Inde quant aux micros, petites et moyennes entreprises, et l’agrément nécessaire pour que l’India Infrastructure Finance Company Limited (une compagnie financière pour l’infrastructure) puisse percevoir 100 milliards d’INR (2,1 milliards D’USD) sous forme de bons exonérés d’impôts14. Le RBI a adopté aussi quelques mesures monétaires telles que l’abattement du taux d’intérêt de la prise en pension livrée (taux auquel le RBI prête des roupies aux banques de l’Inde) de 9 % en août 2008 à 5 % en janvier 2009, la réduction de la cession temporaire et la réduction du coefficient de trésorerie obligatoire de 9 % en août 2008 à 5 % depuis janvier 200915.

Cependant, il existe certains problèmes de base en ce qui concerne la nature, la direction y les effets escomptés de ces séries de programmes. Entre autres, il s’avère que les engagements de prêts sont totalement insuffisants si l’on tient compte du fait que la subvention totale de la relance de 311 milliards INR (6,5 milliards d’USD) constitue à peine 0,8 % du PIB. Qui plus est, il existe une certaine ambiguïté sur les secteurs qui bénéficieront d’un déboursement de prêt supplémentaire de 200 milliards INR (4,2 milliards d’USD). Un retard de presque huit mois s’est déjà produit dans les déboursements effectués. L’ajout de fonds supplémentaires à un tel arriéré rend les déboursements difficilement opportuns16.

Las allocations budgétaires centrales pour le développement ont chuté de 7,5 % pendant la période 2002-2003 à 6,0 % pendant la période 2007-2008 en application des normes de la Loi de Responsabilité Fiscale et de Gestion du Budget. L’allocation budgétaire pour le développement pour 2008-2009 représente environ 6,8 % du PIB ; si un contrecoup général se faisait sentir, cette allocation devra être augmentée au moins jusqu’à un seuil minimal de 7,5 %, ce qui veut dire que « les déboursements supplémentaires doivent atteindre environ 400 milliards INR (8,3 milliards d’USD) au lieu de 200 milliards INR (4,1 milliards d’USD) »17.

Cette baisse de 4 % du CENVAT ne pourra donc être appliquée que sur les produits dont les taxes douanières dépassent 4 %, ce qui implique un encouragement de la demande de la consommation de biens d’équipement des ménages et des biens de luxe, surtout. On a signalé notamment que cela « ne provoquera d’impact sur le soutien porté à l’activité économique que si les producteurs répondent par une baisse des prix et si ces réductions génèrent des réponses à la demande »18. Cela ne semble pas fonctionner ainsi. Par exemple dans l’industrie de l’aviation la diminution des prix de combustible ne s’est pas traduite par la réduction des prix à la consommation escomptée.

On a insisté maintes fois sur la nécessité de mettre en place un programme d’investissement public en masse destiné à l’infrastructure sociale et économique, favorisant la création d’emplois et relançant la demande interne.

La disparition d’emplois et le défi pour la Sécurité sociale.

La disparition d’emplois dans de nombreux secteurs-clé suppose un défi important pour une politique de sécurité sociale qui n’était déjà guère ambitieuse. Un sondage sur un échantillon d’industries liées à l’exportation effectué par le Département du Commerce révèle la perte de 109.513 emplois pendant la période allant d’août 2008 à janvier de 2009. Le Ministère du Travail a effectué un sondage similaire parmi des secteurs importants tel que celui des industries automobile, manufacturière, minière, textile, métallurgique et celui des pierres précieuses et de la bijouterie, qui conjointement contribuent pour plus de 60 % au PIB en 2007-2008. Le sondage a révélé que 500.000 travailleurs environ ont perdu leur emploi entre octobre et décembre 2008.

Cette situation constitue un défi important pour la sécurité sociale étant donné que sur les 457,5 millions de travailleurs formant l’effectif total, 422,6 millions entrent dans la catégorie des non organisés ou non protégés. Parmi ceux-ci, 393,5 millions font partie du secteur non structuré et à peine 29,2 millions appartiennent au secteur structuré. Environ 38 % de l’effectif des travailleurs non protégés sont des femmes19.

Conclusions

Les habitants de l’Inde ont démontré leur confiance en votant pour un deuxième mandat de l’Alliance Unie pour le Progrès. Cependant, le défi pour le Gouvernement actuel est de réussir à trouver un équilibre prudent entre l’accomplissement de ses projets de réforme économique en cours et le besoin impérieux d’offrir une aide sociale et économique aux 250 millions d’habitants qui, d’après les statistiques de la Banque Mondiale, vivent encore dans une pauvreté extrême20. La crise actuelle pose une nouvelle série de problèmes à ce pays qui souffrait déjà d’inégalités énormes et des ravages causés par la faim et la malnutrition21.

 

1 Subbarao, D. “ Inde : La gestion de l’impact de la crise financière mondiale ”. Discours prononcé lors de la séance annuelle de la Confédération de l’industrie indienne, 26 mars 2009.

2 Outlook India (revue hebdomadaire d’informations). IMF Lowers India’s Growth Estimate to 4.5 % for 2009 [Le  FMI réduit l’estimation de la croissance de l’Inde à 4,5 % pour 2009], 22 avril 2009. Disponible sur : <news.outlookindia.com/item.aspx?658780>.

3 RBI. Macroeconomic and Monetary Development in 2008-09 [Développement macroéconomique et monétaire en 2008-09]. Banque de Réserves de l’Inde. Disponible sur : <rbidocs.rbi.org.in/rdocs/Publications/PDFs/MMDAPRFull2004.pdf>.

4 Ibid.

5 Chandrashekhar C. P. y Ghosh, J., India and the Global Financial Crisis [l’Inde et la crise financière mondiale]. Macroscan, 2008. Disponible sur : <www.macroscan.org/the/trade/oct08/trd15102008Crisis.htm>.

6 Ibid.

7 Développement macroéconomique et monétaire en 2008-09.

8 Subbarao, D., op. cit.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 “ Inde : la gestion de l’impact de la crise financière mondiale ”.

12 Ibid.

13 Voir Gouvernement de l’Inde. “ Mesures gouvernementales supplémentaires pour relancer l’économie.” Communiqué de presse, 2 janvier 2009; et “ Exonérations supplémentaires annoncées pour l’Impôt Central des Douanes et Services. ” Communiqué de presse, 24 février 2009.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Fondation pour la Recherche EPW. Stimulus Packages Facing Institutional Constraints [Des séries de programmes de relance confrontées aux restrictions institutionnelles]. Economic and Political Weekly 44(04), 24 janvier 2009.

17 Ibid.

18 Ghosh, J. Weak Stimulus [Stimulation faible]. Frontline, 22 janvier 2009.

19 Gouvernement de l’Inde. Unorganized Manufacturing Sector in India : Input, Output and Value Added [Secteur manufacturier non structuré de l’Inde : intrants, extrants et valeur ajoutée] Rapport sur le sondage national par échantillons 526. Ministère de la Statistique et de Mise en oeuvre de Programmes, 2009.

20 Chen, S. et Ravallion, M. “ Le monde en développement est plus pauvre que l’on ne pensait mais sa lutte contre la pauvreté n’en remporte pas moins de succès ”, in Document de Travail de Recherche sur les Politiques 4703. Washington, D.C. : Banque Mondiale.

21 Selon l’IFPRI (Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires) (2008), l’Inde abrite la plus grande population du monde en situation d’insécurité alimentaire, avec plus de 200 millions de personnes souffrant de la faim. Le rapport démontre que la forte croissance économique ne s’est pas traduite par une baisse des niveaux de la faim.