La faim, un produit rentable

Accaparements de terres dans les pays du Sud et spéculation sur les produits alimentaires ont le vent en poupe depuis plusieurs années. Les banques belges Dexia et KBC y participent selon une étude de Friends of The Earth Europe, réalisée en collaboration avec le Centre national de coopération au développement (CNCD, point focal de Social Watch a la Belgique) et sept autres ONG européennes.

Des acteurs de la finance privée en Europe, comme les banques, les compagnies d’assurances et les fonds de pension, aggravent la faim et la pauvreté dans le monde en spéculant sur les denrées alimentaires et en finançant les accaparements de terres dans les pays les plus pauvres.

C’est la conclusion à laquelle arrive l’étude « Farming Money : How European banks and private finance profit from food speculation and land grabs » publiée par l’ONG Friends of the Earth Europe en janvier 2012, a écrit Antonio Gambini sur le site du le CNCD.

Cette étude analyse les investissements et les activités de 29 entreprises européennes. Deux banques belges sont citées : DEXIA et KBC. La première semble s’être spécialisée dans la spéculation boursière sur les denrées alimentaires et d’autres matières premières. La seconde, quant à elle, alors qu’elle est proche historiquement du Boerenbond, la principale organisation agricole flamande, est surtout active dans le financement d’entreprises procédant à des rachats massifs de terres cultivables en Europe centrale et orientale.

Rappelez-vous d’ailleurs cette publicité de KBC qui avait fait scandale en 2008 : « Retournez la hausse des prix des produits alimentaires à votre profit ! » Sous-entendu : investissez donc dans notre produit financier.

Un panier rentable pour le spéculateur …

Ces pratiques ne sont pas marginales. Selon les chiffres de Lehman Brothers, le volume de la spéculation par les Commodity Index Funds a augmenté de 1900% entre 2003 et 2008. Lesdits Commodity Index Funds sont en fait des fonds qui investissent dans des produits financiers dérivés basés sur des paniers de matières premières, liés surtout au pétrole et aux denrées alimentaires.

Ces fonds permettent à tous les « investisseurs » de profiter de la tendance haussière de ces « actifs sous-jacents ». Puisqu’il s’agit de produits dérivés, donc de promesses d’achat, de vente ou d’échange purement dématérialisées, les investisseurs ne doivent pas se préoccuper de réceptionner, stocker et livrer physiquement les produits en question. En outre, ils ne doivent consacrer que peu d’attention à suivre tel ou tel marché, car le produit financier est basé sur un indice boursier représentant un panier de produits, dont on peut supposer que la tendance générale à la hausse ne sera pas compromise par de quelconques péripéties sur tel ou tel marché déterminé.

…mais moins pour la ménagère

A l’occasion des tentatives de re-réglementation des marchés en Europe comme aux Etats-Unis, le débat sur l’effet véritable de cette effervescence spéculative sur la volatilité des prix agricoles s’enflamme, les financiers préférant rejeter la faute sur les « fondamentaux » du marché agricole : réchauffement climatique, augmentation de la demande en viande des pays émergents, détournement vers les agro carburants d’une partie croissante de la production etc.

Ce qui est certain, cependant, c’est que la finance dégage des profits importants en investissant massivement le secteur. Et il est probable que ce soient les consommateurs - y compris les populations plus pauvres de la planète - qui paient ainsi l’addition. La loi de l’offre et de la demande fait qu’une hausse de prix conduit normalement à une baisse de la demande, mais la demande de produits agricoles est peu élastique : spéculez et faites monter les prix, la demande restera solide, pour la bonne et simple raison que les gens doivent continuer à se nourrir. La faim est donc bel et bien le seul avantage concurrentiel de la spéculation sur les denrées alimentaires !

L’accaparement de terres fonctionne sur base des mêmes théories, mais ce qui change c’est l’objet de l’investissement : pourquoi acheter des produits financiers dérivés du blé ou du riz quand on peut aller à la source et acheter directement les terres ? Ceci explique pourquoi pas moins de 50 millions d’hectares - 16 fois la superficie de la Belgique - auraient fait l’objet de transactions de ce type à l’échelle mondiale, rien qu’entre 2006 et mi-2009. Le phénomène affecte d’abord les pays d’Afrique mais aussi d’Asie, d’Amérique latine et même d’Europe de l’Est et d’Europe centrale.

Plus d’information
« Farming Money : How European banks and private finance profit from food speculation and land grabs » (en anglais et format PDF) : http://bit.ly/zqp31K

Source
CNCD : http://bit.ly/xXDZqI