ÉGYPTE
Une économie vulnérable
The Egyptian Association for Community Participation Enhancement (EACPE)1.
Afaf Marei
La crise du prix des aliments 2008 a mis en évidence, en l’absence de politiques agricoles pendant des décennies, le manque de souveraineté alimentaire du pays. Actuellement, l’économie égyptienne commence à ressentir l’impact de la crise globale. La diminution des envois de fonds de l'étranger et le retour des expatriés menacent un marché du travail incapable pour l’instant de les intégrer. Le Gouvernement encourage certaines mesures visant à favoriser l’investissement et à relancer l’économie. Bien que tardives, il faudrait pouvoir savoir si ces mesures seront suffisantes pour la relance de l’économie avant que le chômage et le manque de sécurité alimentaire ne génèrent un malaise social généralisé.
Bien que l’économie égyptienne ait connu une croissance rapide pendant les cinq dernières années, l’importation de deux tiers des aliments a rendu le pays vulnérable. A partir de la hausse des prix des aliments en 2008, une grande partie de la population a éprouvé des difficultés pour nourrir les familles et la tension sociale s’est accrue. D’autre part, la crise globale des aliments a dévoilé l’importance de « l’autosuffisance alimentaire » pour les pays en développement tels que l’Egypte ; la plupart d’entre eux a négligé l’importance des investissements en agriculture en raison des prix réduits des denrées alimentaires sur les marchés internationaux pendant les 25 dernières années.
De plus, en raison de la détérioration de la fertilité des sols, du changement climatique et de la pénurie d'eau, les récoltes ont diminué d’année en année alors que l’importation de produits agricoles a augmenté pour répondre aux besoins d’une population croissante. Tout ceci a contribué à la perte totale de la souveraineté alimentaire.
Le ralentissement de la croissance
Depuis la prise de pouvoir du premier ministre Ahmed Nazif en 2004, le Gouvernement a encouragé une politique d’ouverture sur le marché. Les investissements étrangers et les revenus records du tourisme et de ceux issus des activités du Canal de Suez ont favorisé la croissance économique la plus rapide de ces dernières décennies. Cependant, à partir du dernier trimestre de l’année fiscale 2007/2008, cette croissance a commencé à ralentir. La hausse des prix des denrées alimentaires a fait monter le taux d’inflation au-delà de 20 % provoquant un impact négatif sur la consommation. D’après le ministre du Développement Economique, Osman Mohamed Osman, la croissance a ralenti de 5,8 % au premier trimestre de l’année fiscale 2008/2009.
Le Gouvernement estime que, pour 2009, les exportations ainsi que les investissements étrangers, les revenus provenant de l’exploitation du Canal de Suez et du tourisme vont diminuer en raison de la crise globale. Il en sera de même pour les taux de croissance. Étant donné que 70 % des revenus en devises du pays proviennent du secteur des services, et que la crise a frappé fortement les pays d’où viennent la plupart des touristes, l’économie du pays va connaître sa plus faible croissance en cinq ans pendant cette année fiscale.
Le ministre du Commerce et de l’Industrie, Rachid Mohamed Rachid, lors d’une dissertation à l’occasion d’un déjeuner à la Chambre Américaine du Commerce au Caire en octobre 2008, a signalé que des mesures supplémentaires seront nécessaires si le pays souhaite maintenir le même niveau de croissance. Rachid a signalé : « si nous continuons à faire ce que nous avons fait pour atteindre 7 % de croissance, il est clair que nous ne réussirons pas à atteindre ce 7 % ni en 2008 ni en 2009 ». Il a également dit que, pour que la croissance puisse continuer, il est aussi important de soutenir les secteurs les plus vulnérables que d’assurer la viabilité du secteur financier. Le ministre a aussi manifesté que le fait que le secteur bancaire soit en bonne santé et qu’il ait suffisamment de liquidité est une bonne nouvelle, et que cette liquidité devrait être destinée aux secteurs de l’exportation, de l’investissement ainsi qu’à la consommation2.
L’impact sur l’agriculture
Le manque d’investissements dans le secteur de l’agriculture provoquera une réduction inévitable des emplois et, par conséquent, une augmentation de la pauvreté et des migrations, notamment en Haute-Égypte. Le développement intégré du secteur agricole, l’aide aux agriculteurs et l’adoption de politiques agricoles alternatives sont nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire des égyptiens, pour rendre leur vie plus digne au moyen d’un système prenant en charge leurs droits sociaux, économiques et politiques.
Chômage
Adham Nadim, directeur exécutif du Centre pour la Modernisation de l’Industrie, a annoncé la perte de 45 % des postes de travail actuels, car il s’agit de postes non professionnels. 35% des deux millions de travailleurs de l’industrie n’ont pas de protection du travail. Nadim affirme qu’il est nécessaire de prendre des mesures immédiates afin de corriger la situation.
En mars 2009, le ministre Osman a déclaré que le plan de développement social 2009/2010 devra faire face à des inconvénients liés à la crise globale et à son impact sur l’économie égyptienne. D’après le ministre, le ralentissement de la croissance entraînerait une augmentation du chômage et la perte d’environ 150.000 postes de travail.
Une enquête du Centre des Services des Syndicats et des Travailleurs (CTUWS), montre qu’en avril 2009, 6.100 travailleurs de plusieurs secteurs avaient été licenciés – dont 3.100 dans le secteur textile et 270 dans le secteur du tourisme qui emploient principalement des femmes. Une société touristique à Hurghada a licencié 200 travailleurs sur 890. Dans d’autres villes touristiques les bénéfices des travailleurs ont été réduits de 25 %.
De plus, quelque 1.400 travailleurs de la construction, 700 de l’alimentation et 550 du secteur minier ont perdu leurs emplois. Lorsque l’industrie Assiut Cement, appartenant à Siemens France, a décidé d'arrêter la production pour réaliser des travaux de « maintenance », seuls 680 travailleurs sur un total de 4.400 avaient un contrat signé alors que le reste effectuait des travaux journaliers ou temporaires. À son tour, la société Orascom Construction a licencié 400 employés temporaires en mars 2009 et la société de construction CEAC a licencié 150 travailleurs en janvier3. Le secteur bancaire a également décidé de réduire son personnel dans les prochains mois.
Investissement et épargne
D’après le ministre du Développement Economique, la réduction du taux de croissance plus l’augmentation des montants d’investissement public – notamment dans des programmes de développement sur le plan humain, des infrastructures, de l’éducation et de la santé, entre autres – produira un déficit entre l’investissement et l’épargne interne pouvant atteindre 85 milliards de livres égyptiennes [EGP] (soit un peu plus de13 milliards d’USD). Concernant les fonds provenant de l’étranger, on s’attend à atteindre les 40 milliards d'EGP (soit 7,2 milliards d’USD) pendant la période 2009/2010, quelque180 millions d’USD de moins que l’année précédente. Il en sera de même pour l’incidence de l’investissement privé sur l’investissement total – on espère atteindre 57 % contre 67 % pour la période précédente4.
La perte des postes de travail parmi les égyptiens qui habitent a l'étranger produira, suivant les estimations de certains économistes, le retour de 250.000 émigrants environ sur un total estimé à 6 millions, ce qui aura bien évidemment un impact sur le marché du travail. D’une part, le gouvernement n’est pas en mesure d’absorber la main d’œuvre retournant en Égypte ; d'autre part, les entreprises privées exigent de plus en plus de formation et d'expérience lors de l'embauche de nouveaux employés. Cette situation ne peut aboutir qu’à une augmentation dramatique du chômage.
Les réponses du Gouvernement
Comme réponse à la crise, le Gouvernement créé une série de mesures et un plan d’action visant à renforcer les secteurs à partir desquels il sera possible de revitaliser l'économie égyptienne. Ces mesures sont, entre autres5 :
· L’augmentation des dépenses en investissement public y compris la création de projets urgents de travail intensif afin de relancer la consommation et de revitaliser le cycle économique.
· La réduction des tarifs sur les biens intermédiaires et les biens de capital aidant les entreprises à entrer en concurrence à l’étranger et à encourager l’investissement.
· L’exemption des impôts sur les exportations des biens de capital pendant un an, dans le but d’encourager l’investissement.
· La mise en œuvre d’investissements d’environ 15 milliards d’EGP (2,7 milliards d’USD) dans des projets à participation publique et privée.
· La conception de plans destinés à attirer des investissements étrangers, notamment de la région arabe, ne devant pas être inférieurs à 10 milliards par an.
· Faciliter les opportunités d’investissement dans des projets faisables tels que pétrole, irrigation, aviation civile, zones franches, tourisme, développement urbain, logement, agriculture, commerce et technologies de l’information.
· L’amélioration des démarches bureaucratiques par le biais de bureaux de promotion des investissements au niveau des gouvernements locaux.
· La résolution de problèmes et la facilitation des investissements, notamment dans des secteurs de travail intensif tels que l’agriculture, l’industrie et les services.
· L’obtention de la stabilité des prix pour l’énergie et l’industrie.
· L’assistance portée aux secteurs de production et d’exportation.
· La fourniture de terrains nécessaires aux projets d’infrastructure et d’activités productives.
· La coordination entre le Gouvernement et la Banque Centrale facilitant l’obtention de crédits pour les petites et moyennes entreprises ainsi que le développement de l’exploitation des excédents de liquidité afin de financer des projets productifs.
De plus, plusieurs réformes bancaires, en attente depuis longtemps, ont été annoncées.
Pour l’instant, il faudrait évaluer quel sera l’impact de ces mesures en termes de reprise de la croissance.
Pour l’instant, il devient de plus en plus urgent de prendre des mesures pour atténuer l’impact de la crise économique sur la population, notamment pour ceux qui ont perdu leur emploi et ne peuvent plus payer une alimentation de base. Si ces mesures n’étaient par prises, il est probable que le malaise social augmentera de manière dramatique et il ne s’agira que d’une question de temps pour que les gens descendent manifester dans les rues.
1 Utilisant comme référence les rapports du Land Center for Human Rights (LCHR) et du Center for Trade Unions & Workers Services (CTUWS).
2 Rachid Mohamed Rachid. “The Financial Crisis : Repercussions on Egypt”. Disponible sur : <www.amcham.org.eg/operation/events/events08/FinancialCrisis/FinancialCrisis.asp>.
3 CTUWS. “Impacts of the Global Financial Crisis on Egyptian Workers”. 2009. Disponible sur : <www.ituc-csi.org/IMG/pdf/Impacts_of_the_Global_Financial_Crisis_Report_3.pdf>.
4 CTUWS. op. cit.
5 Alasrag, Hussein. Impact of the global financial crisis on the Egyptian economy.