GUATEMALA
Un pays riche, un peuple pauvre
Coordinación de ONG y Cooperativas de Guatemala
CONGCOOP
Zully Morales
Helmer Velásquez
la récurrente crise alimentaire que subit le pays, dont 121 des 133 communes qui le composent sombrent dans la famine, rend indispensable une intervention structurelle dans les campagnes. En finir avec le déplacement des communautés paysannes, en leur permettant d´être propriétaires de leurs terres, rendra possible une répartition des possessions plus équitable et un retour à une autosuffisance alimentaire. Pour cela, il est urgent de renverser l´actuel modèle féodal de la production agricole et l´application de la Réforme Agraire Intégrale promise est impérative.
Au Guatémala, moins de 2 % des producteurs possède presque 57 % des terres cultivables. Les 18.937 Km2 compatibles avec la culture du maïs, 7.235 Km2 – dans des propriétés privées de grande extension – se trouvent sous-utilisés, couverts d´arbustes, de broussailles, d’herbages plantés ou non plantés ou de mauvaises herbes. Cet état de fait, avec les politiques d´ajustement structurel et l´ouverture commerciale des années 80, a fait passer le Guatémala de la situation d´un pays autosuffisant dans le domaine alimentaire à celle d´un pays importateur de 70 % de ses aliments.
Inégalité structurelle dans l´agriculture :
La crise alimentaire mondiale s´est révélée plus intense au Guatémala au cours du dernier semestre 2007, engendrant une profonde réflexion sur les rares progrès dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Les actions conçues par l´État dans le but d’accomplir l´ODM1 (éradiquer l'extrême pauvreté et la faim) consolidaient depuis quelque temps une tendance légèrement positive. Cependant il s´avère que la crise alimentaire actuelle menace sérieusement la réalisation de cet objectif.
Le Programme Mondial d´Aliments pour le Guatémala estime que la pauvreté et l’extrême pauvreté concernent plus de la moitié de la population. A peu près 6 sur 13 millions d´habitants sont tombés sous le seuil de pauvreté (56,4 % d´entre eux au stade de la pauvreté, 19,7 % à celui d’extrême pauvreté). L´indice est monté entre 2008 et 2009 de 5,4 et 4,5 points respectivement et le Programme des Nations Unies pour le Développement a estimé cette hausse à 700.000 nouveaux pauvres entre 2007 et 2008. 1.300.000 foyers pauvres se trouvent dans les campagnes, 51 % d´entre eux manquent de terre ou possède moins d´un hectare de terre.
Le salaire minimal pour le travailleur de la campagne ou de la ville équivaut à 6,50 USD par jour. Cependant ce salaire n´est pas respecté à la campagne, d´après une estimation de la Coordination Nationale des Organisations Paysannes, et le paysan reçoit en réalité entre 3 USD et 5 USD par jour pour une journée de travail de 8 à 10h, selon le lieu et le type de culture. La pauvreté affecte surtout la population indigène et paysanne. La pauvreté générale (vivre avec moins de 2 USD par jour) est deux fois plus importante pour la population indigène que pour les non indigènes, une tendance qui s’affermit, selon l´Enquête Nationale sur les Conditions de Vie (ENCOVI) 20061. Quant à l’ extrême pauvreté (vivre avec moins d’1 USD par jour), la situation est beaucoup plus grave puisqu´elle est trois fois plus forte pour les indigènes que pour les non indigènes. Pendant le premier semestre 2008 les prix des produits qui composent le Panier de Base Alimentaire ont subi une forte croissance qui a obligé les personnes aux revenus les plus faibles à restreindre leurs niveaux de consommation. Cette situation a atteint et affecté la classe moyenne.
Désarticulation de l´appareil productif
Jusqu´aux années 70 l´appareil public agricole, qui offrait au paysan et au petit producteur les services d´extension, de crédit, de dotation de terre, de recherche et de transfert technologique, encourageait des programmes et des projets de développement de la culture des graines basiques, la protection des forêts et l´élevage. Cet appareil, associé à la non importation d´aliments, maintenait le pays comme agent producteur de ses propres aliments. L´ajustement structurel a entraîné la clôture finale des services d´extension en ce début de 21ème siècle, en démantelant l´appareil public agricole, avec un nombre de travailleurs qui est passé de 18.000 à 1.200.
Une action parallèle a été de confier la gestion des silos nationaux (stockage de graines basiques) en concession à « l´initiative privée », laissant ainsi le pays sans réserves alimentaires en cas de catastrophes ou de périodes de pénurie. En outre, comme l´État a cessé d´intervenir dans le commerce des grains et que les frontières se sont ouvertes aux grains produits dans le nord du continent à prix subventionnés, l´appareil productif national a succombé. L´une des conséquences les plus graves est que 49 % des enfants souffrent de malnutrition chronique et que 24 % de la population en général est sous-alimentée, ce qui provoque un retard dans pratiquement tous les indicateurs liés au développement physiologique de l´individu.
L´importance du maïs
Sur le Haut Plateau guatémaltèque (une région où 90 % de la population est indigène comprenant les zones les plus pauvres du pays), 100 % de la population consomme du maïs dans son régime alimentaire quotidien2, avec une moyenne de 310 grammes par personne, 110 kilos annuels pour une consommation nationale de presque 3 millions de tonnes, ce qui entraîne un déficit d’à peu près 1,5 million de tonnes de maïs auquel nous suppléons en achetant sur le marché international, notamment aux États-Unis, pour une somme de plus de 73 millions d’USD en 2002.
Entre janvier 2006 et janvier 2009 la dépendance internationale des grains a généré une hausse des prix de 62 % pour le maïs jaune, 70 % pour le riz et 39 % pour la farine de blé. Cependant, malgré une baisse des prix au niveau international en 2007 et 2008, les prix restent aujourd’hui les mêmes au Guatémala et s´ajustent au prix international à sa valeur la plus haute, à l´exception du prix du riz qui est revenu aux valeurs de l’année 2006.
De nouvelles menaces pour la population rurale
L´industrie minière est en hausse depuis la Réforme de la Loi des Industries Minières de 1996, réalisée sur la requête de la Banque Nationale. Ainsi, 17 départements du pays sont l´objet d´exploration et/ou d´exploitation minière. L´industrie touristique menace la propriété paysanne et indigène dans le Nord et le Sud du pays. L´urbanisation et la construction de pôles commerciaux déplacent le territoire rural, en expulsant ses habitants et en affaiblissant la capacité de production, particulièrement celle des ressources alimentaires. L´industrie de l´élevage extensif abîme la terre productive et dévaste les forêts d´énormes extensions, en expulsant des paysans et indigènes, que ce soit au moyen d´arguments « légaux » ou par la pression des armes. Les expulsions ont même lieu dans les zones déclarées protégées (pour la protection et le maintien de la diversité biologique et des ressources naturelles), de connivence avec la bureaucratie du secteur.
Sont maintenant encouragés l´instauration et l´élargissement de méga-monocultures agricoles orientées vers l´exportation, telles que la canne à sucre, le palmier africain et le pignon, qui expulsent de manière implicite la population paysanne des campagnes. Les plantations de canne à sucre occupaient 6 % de la superficie totale en 1995 et 11 % en 2007. La zone réservée à la culture de la canne a augmenté en moyenne de 3,6 % entre 1990 et 2005, alors que pendant la seule période entre 2005 et 2007 la croissance a été de 17,7 %. Le Syndicat des Huiles a estimé pour 2012 à 150.000 le nombre d´hectares semés de canne, soit un investissement de 32,5 millions d’USD pour l´achat de terres qui expulsent de manière implicite la population paysanne des campagnes, un nombre qui peut désormais être facilement dépassé.
Ces nouvelles extensions destinées à l´exportation détruisent de vastes zones de culture alimentaire et expulsent au quotidien des centaines de familles de paysans puisque, par ailleurs, elles ne demandent pas d´emploi massif. Rompre les schémas culturels de la population expulsée génère non seulement la pauvreté économique, sociale, culturelle et spirituelle, mais aussi du désespoir et de la violence.
Le trafic de drogues est une nouvelle menace, parfois associée à l´élevage extensif qui repose sur la protection des forces de l´État pour expulser des paysans et opérer sur leurs terres. Les familles de paysans sont sans défense face aux pressions pour acheter la terre provenant du trafic de drogue et du latifundio mono-cultivateur.
Réponses de l´État
Parmi les politiques et les actions que propose le Gouvernement dans le cadre de son Programme d´Urgence et de Récupération Economique on distingue une politique fiscale contre-cyclique, une politique de protection sociale et d´autres politiques sectorielles prioritaires (développement rural, programmes d´agriculture compétitive amplifiée, développement agricole et assistance alimentaire, durabilité des Ressources Naturelles et renforcement de la location des terres).
La priorité reste de maintenir la stabilité macroéconomique à n´importe quel prix. Ceci comporte des réserves internationales élevées, de faibles salaires, attirer des industries par la suppression d´impôts, entre autres mesures. Le paradigme fondamental pour l´État et les secteurs oligarchiques est d´élargir la zone des traités de libre échange. Deux d´entre eux sont considérés comme les plus importants : le Traité de Libre Echange avec l´Amérique du Nord, en vigueur depuis déjà trois ans et l´Accord d´Association avec l´Union Européenne (en négociation). Aucun de ces deux schémas ne propose de lignes de bénéfices pour le petit producteur.
D´autre part le Gouvernement a instauré des programmes de transferts monétaires et de bourses solidaires qui génèrent un changement qualitatif dans la formation du capital humain – ce qui aurait un impact plus important si, en outre, des politiques de développement rural et fiscal étaient mises en place et si l´institutionnalisme de l´État se consolidait. Ces mesures, ainsi que le développement de modèles internationaux adaptés à la réalité nationale sont en vogue dans divers pays de la région.
L´un des mécanismes gouvernementaux pour atténuer les effets de la crise a été l´élargissement de contingents d’importation bénéficiant d’un tarif douanier zéro pour des produits comme le maïs jaune, la farine de blé et le riz courant. Cependant l’un des groupes importateurs, le Groupe Buena, a obtenu à lui seul 82 % des quotas d´importation, du fait de la structure oligopolistique de l’importation d’aliments dans le pays. Cette situation, qui n´a pas entraîné de baisse des prix, s´est réduite dans la pratique à un subside pour cette entreprise qui ne partage pas avec le consommateur les bénéfices des tarifs douaniers non payés.
D´autre part, le déficit fiscal est couvert prioritairement par la dette extérieure et intérieure. Les possibilités de réforme fiscale n´existent pas. 20 % des impôts sont directs et 80 % indirects. La promesse du Gouvernement de commencer un processus de réforme fiscale qui renverserait ce modèle n´est pas tenue. Dans le cadre de cette crise, la réforme projetée s´est réduite aux réformes qui favorisent le cycle macroéconomique et les programmes d´assistance pour la population en situation d’extrême pauvreté.
Quant à la production agricole, il y a des programmes d´assistance pour la location de terres. Ce n´est pas le cas pour l´accès à la propriété et pour le crédit accordé aux paysans. Le nouveau Gouvernement a eu davantage recours aux expulsions forcées de paysans (50 expulsions au 31 mars 2009) ce qui a généré instabilité et mécontentement au sein des organisations indigènes et paysannes qui espéraient l´approbation et la mise en place de la Politique Agraire de Développement Rural promise. Le leadership communautaire est actuellement coopté par le Gouvernement et les transnationales d’extraction, qui génèrent leur propre mouvement social parallèle de style clientéliste, en finançant des représentants des bases sociales très discutés. Ceci a entraîné une substitution du leadership traditionnel par le leadership financé et des affrontements entre les organisations paysannes de base. A cela s’ajoute la criminalisation et la persécution des dirigeants paysans qui luttent pour accéder à la terre afin de produire leurs propres aliments.
Alternatives sociales
En accord avec la Constitution Politique de la République du Guatémala, « la propriété privée est un droit inhérent à la personne humaine », c´est à dire que tous les guatémaltèques ont le droit d´accéder à la propriété. A cet effet, « la propriété pourra être expropriée dans des cas concrets pour des raisons d’utilité collective, de bénéfice social ou d´intérêt public dûment démontrées ». La malnutrition, la pauvreté et l’extrême pauvreté, le chômage et à présent l´approfondissement de la crise alimentaire récurrente trouvent leur origine dans l´impossibilité pour la population de se procurer des moyens de subsistance, par manque d´actifs, en particulier de terre. Voici un cas évident d’utilité et de nécessité publique démontré ; en d´autres termes, il s´agit d´une proposition qui s´inscrit dans l’ordonnance juridique nationale.
L´agriculture est une issue de secours pour le développement et il faut abandonner le modèle féodal de production. La distribution équitable de la terre est une stratégie adéquate pour le développement de l’emploi rural et pour accroître la productivité dans les campagnes, ce qui entraînerait la croissance de l´économie, de la capacité de prévision et de provision alimentaires. La réforme agraire ne peut plus attendre. Il s´agit d´un instrument de paix sociale et de possibilité de gouvernement qui mettra fin aux conflits provoqués par l´usurpation de la terre indigène et paysanne et qui évitera la déprédation des forêts, faisant émerger en même temps de vastes secteurs ayant une capacité de production et d´investissement. À partir de cette réforme, les générations futures pourront disposer de meilleures et plus nombreuses opportunités d’auto-développement et augmentera leur pouvoir d´achat, ce qui dynamisera la chaîne de production3.
1 L’ENCOVI 2006 définit l’extrême pauvreté de ceux qui n’accèdent pas aux aliments à leur valeur minimale.
2 Selon le Popol Wuj – livre sacré des Mayas – “ D’épis jaunes et d’épis blancs son corps a été fait, les bras et les jambes de l’homme sont faits de pâte de maïs, rien que de la pâte de maïs a été utilisée pour faire la chair de nos parents ”.
3 Avec des données et des analyses de la Coordination d’ONG et Coopératives, par l’intermédiaire de ses deux instituts d’analyse : l’Institut d’Etudes pour la Démocratie en formation et l’Institut d’Etudes Agraires et de Développement Rural. Guatemala, 2009