MALTE
Sans protection face à l’effondrement
Joseph M. Sammut
Kopin Malta
Au début l’économie de Malte semblait être à l’abri de la crise économique mondiale, mais les conséquences commencent maintenant à se faire sentir. Le tourisme est en diminution et les aliments et les services publics sont plus chers. Les enquêtes d’opinion montrent que les maltais ne voient pas de solution à leurs problèmes dans un futur proche et qu’ils attendent une détérioration des conditions de vie pour 2009. Le nombre de demandeurs d’asile augmente jour après jour et leur situation s’aggrave.
Fin 2008, la majorité des pays développés étaient en récession et l’économie mondiale chutait brusquement. Pendant les deux premiers trimestres de l’année, l’économie maltaise semblait être, en grande mesure, à l’abri des conséquences de la crise financière. La demande interne a continué d’être le moteur de la croissance, principalement grâce à l’augmentation de la consommation et à une forte accumulation de stocks1. La situation du marché du travail, où le secteur privé a continué à générer de l’emploi, a été favorable. Il y a eu une légère augmentation de l’emploi (1,3 %), tandis que le taux de chômage s’est maintenu stable à 6 %, ce qui est relativement bas. Cependant les exportations nettes ont contribué négativement à la croissance pendant les deux derniers trimestres.
La hausse des prix internationaux des aliments et des combustibles a entraîné l’inflation et des prix plus élevés pour le consommateur. Le taux d’inflation de Malte a été de 4,7 % – le plus élevé de la zone euro en 20082. De même, les événements internationaux récents comportent de plus en plus de risques pour la croissance. Le marché des exportations de Malte a été le plus touché de toute l’UE : il est tombé de 14 % par rapport à la hausse moyenne de 6,2 %. Le Rapport du Printemps de la Commission Européenne des Affaires Economiques et Financières prévoit une croissance du PIB de 0,7 %, une inflation de 1,9 %, un taux de chômage de 7,4 %, un solde négatif de 2,6 % de la proportion du déficit budgétaire du PIB et une chute de -0,7 % dans le solde du compte courant3.
Les banques maltaises maintiennent une liquidité suffisante et sont bien capitalisées pour couvrir les risques de crédits, les risques opérationnels et les risques du marché. Leur système de régulation est approprié pour protéger leurs clients, bien que l’une des banques les plus importantes ait souffert une chute de 60 % de ses bénéfices annuels correspondant à 2008 en raison de la faillite d’une banque internationale. Le Gouvernement a garanti les dépôts bancaires jusqu’à un montant de 100.000 EUR (132.000 USD).
L’inflation s’est répercutée sur les économies des ménages, principalement ceux aux revenus les plus faibles. Les dépôts des résidents dans les banques maltaises ont augmenté, mais leur taux de croissance annuel a diminué, tandis que les crédits octroyés aux résidents ont continué leur expansion. Les taux d’intérêts bancaires sont tombés à 102 points de base entre septembre et novembre dans la mesure où les banques ont transféré à leurs clients une partie de la réduction des taux officiels d’intérêts. Entre-temps le rendement des titres de l’État a diminué et le prix des actions a continué à descendre4.
Les aliments et l’énergie
Malte importe la plus grande partie des aliments qu’elle consomme. Les rapports d’Eurostat de 2008 montrent que le pays a subi une hausse de 9,7 % du prix des aliments entre avril 2007 et avril 2008. Ce chiffre représente deux fois le taux d’inflation annuel et son incidence sur le revenu disponible des consommateurs a été très important. Un petit nombre d’importateurs domine le marché et empêche la concurrence : le rapport d’Eurostat reconnaît que Malte souffre du manque de concurrence, mais la montée des prix s’associe également au passage à l’euro. Le Bureau de la Juste Concurrence de Malte devrait analyser cette situation et mener des enquêtes à ce sujet.
L’énorme hausse du prix du pétrole sur le marché mondial (USD 147 le baril) en 2008 a conduit à une augmementation des prix des carburants, de l’électricité et spécialement de l’eau, étant donné que Malte en génère une partie substantielle par le procédé de l’osmose inverse. En octobre 2008 les coûts des services publics ont presque doublé pour les consommateurs. Les petits ménages qui ne sont pas couverts par le plan de réduction écologique – qui stimule l’économie volontaire d’énergie en réduisant les tarifs – ont été spécialement touchés par cette hausse des prix.
Les représentants de 11 syndicats ont posé au gouvernement le problème des nouveaux tarifs des services publics. Le 10 décembre 2008 ils ont envoyé une lettre au premier ministre où ils présentaient leurs désaccords sur la forme de calculer ces tarifs5. Ils affirmaient que le gouvernement avait manipulé les statistiques et qu’il avait gonflé le nombre de ménages qui se verraient bénéficiés par les réductions écologiques. En janvier 2009 les syndicats ont conseillé aux consommateurs de ne pas régler leurs notes de services public, avant que ne s’écoulent les 45 jours de sursis permis par la Water Services Corporation6. Après cela le patronat s’est joint aux critiques sur la structure des tarifs, qui selon lui discriminait les petites et moyennes entreprises. La Chambre des Petites Entreprises a donné l’ordre à ses associés de ne pas payer un pourcentage déterminé de leurs factures de services publics7.
Le ministre responsable des services publics a promis en septembre une baisse des tarifs quand le prix international du pétrole descendrait à moins de 85 USD le baril. Cependant, bien que le prix du pétrole soit descendu à moins de la moitié de cette valeur (37 USD le baril) 8, les consommateurs n’ont pas vu leurs notes se modifier. A ce sujet il est utile de rappeler que le gouvernement est en train de préparer la privatisation d’Enemalta, l’entreprise nationale d’énergie, et qu’il doit la remettre sur des bases financières solides – l’entreprise est dans les chiffres rouges. Le sujet des tarifs des services publics exige une étude socioéconomique appropriée, basée non seulement sur les statistiques internationales ou sur une moyenne, mais aussi sur les enquêtes concernant les budgets des différents types de ménages, d’entreprises et d’organisations. Ce genre d’étude doit aussi offrir des recommandations viables sur les possibles scénarios d’énergie durable pour Malte.
Le travail
La crise internationale a commencé à se faire sentir début 2009, c’est alors que beaucoup d’entreprises manufacturières ont adopté la semaine de travail de quatre jours et d’autres ont annoncé des licenciements pour réduire leur force de travail et leurs pertes financières. Les licenciements pourraient atteindre l’ordre de centaines, voire même de milliers, pendant l’année 2009. Le tourisme joue un rôle important dans l’économie et l’emploi à Malte. Actuellement le tourisme provenant de la Grande Bretagne a diminué et représente 33 % du marché9, ce qui nuira beaucoup aux travailleurs de ce secteur.
Les chantiers navals étaient le bastion de la main-d’oeuvre maltaise, ils employaient de 5.000 à 6.000 travailleurs jusque dans les années 1990. En 2008 la privatisation du secteur a commencé, c’est alors que les plans de retraite anticipée et de démission volontaire ont été proposés aux employés. Sur 1.626 travailleurs, seulement 59 ouvriers n’ont choisi aucun plan et sont restés effectifs, tandis que 679 qui avaient opté pour la retraite anticipée ont continué à travailler pour conclure les commandes en instance avant que l’entreprise ne ferme. Quatorze entreprises ont participé à l’appel d’offres du chantier naval, mais, d’après un journal local, aucune des propositions n’a comblé les attentes du gouvernement. Le fait de ne pas être arrivé à un accord acceptable est un coup dur pour le gouvernement. Dans une déclaration faite au journal Times of Malta, en 2008, Neelie Kroes, commissaire à la Concurrence de l’UE, a critiqué la stratégie de privatisation et a signalé que l’intention du gouvernement de solder 100 millions d’EUR (132 millions d’USD) de pertes avant de privatiser le chantier naval n’était pas acceptable dans le cadre de la législation de l’UE.
L’aide au développement
La politique étrangère d’aide au développement publiée en octobre 2007, identifiait cinq pays prioritaires pour recevoir l’aide maltaise au développement, dont quatre d’Afrique centrale et orientale: la Somalie, le Soudan, l’Erythrée et l’Ethiopie10. Les ONG maltaises pensent qu’il s'agit d’un choix politique, puisque la majorité des immigrants proviennent de ces pays11.
Le manque de transparence et d’évaluations convenables et indépendantes de l’aide officielle maltaise compromet la participation des ONG dans la coopération pour le développement. Le gouvernement avait promis aux ONG une analyse claire des statistiques dans ses rapports sur l’aide officielle au développement (AOD), mais il n’a pas tenu son engagement. Le Gouvernement avait également annoncé que davantage de fonds de développement seraient destinés à l’assistance technique et que les technologies informatiques et de la communication (TIC) seraient prioritaires. Les ONG s’inquiètent du fait que l’assistance technique ne répond généralement pas aux besoins réels des pays en développement et de son manque de transparence, alors que les TIC n’ont pas l’habitude de correspondre au principe d’appropriation nationale de ces technologies.
Bien qu’en 2007 Malte ait maintenu le rapport le plus élevé (0,15 %) entre AOD et le revenu national brut (RNB) de l’UE, les ONG sont inquiètes puisqu’un pourcentage substantiel de l’AOD déclarée est dépensé en logements pour les demandeurs d’asile pendant leur première année dans le pays, ce qui signifie dans la pratique que l’AOD est dépensé dans des centres de rétention. Les ONG s’inquiètent aussi du fait que l’aide au développement soit gonflée par l’inclusion de frais attribuée aux étudiants.
La migration et les demandeurs d’asile
La situation des immigrants et des demandeurs d’asile ne s’est pas améliorée, elle s’est même, dans un certain sens, aggravée à cause du nombre record de personnes qui sont arrivées par la mer en 2008 et les premiers mois de 2009. Un groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires s’est rendu à Malte en janvier 2009. Bien que ce groupe ait souligné beaucoup de points positifs, il a signalé que l’arrestation des demandeurs d’asile ne se correspond pas à la législation internationale sur les droits de l’homme et a qualifié de « catastrophique » la situation dans les camps de Safi et de Lyster12. Pour le groupe de travail, les conditions dans les camps ont un effet sur la santé physique et mentale des détenus à tel point qu’ils sont incapables de comprendre leurs droits ou de suivre le procédé légal qui pourrait conduire, pour le meilleur ou pour le pire, à un changement de leur situation.
Les démarches pour les demandes d’asile sont extrêmement longues : après être restés six mois à Malte, certains immigrants continuent à attendre qu’on leur octroie une entrevue. Le système connu comme la « voie rapide » n’est pas meilleur. Bien que mis en place pour les personnes plus vulnérables – les femmes enceintes et les handicapés par exemple – au moins trois mois sont nécessaires pour obtenir la sortie des centres de rétention. Un immigrant d’Erythtrée a présenté une demande pour violation de la constitution contre le directeur du Bureau de l’Immigration et le ministre de la Justice et de l’Intérieur en mai 2007. Il a assuré que ses droits de l’homme avaient été violés en raison de la longueur des démarches pour obtenir l’asile et des conditions inhumaines de détention. Le verdict n’a pas encore été prononcé13. La prochaine audience est prévue pour juillet 200914.
Le Gouvernement affirme qu’il doit réussir à obtenir un équilibre entre les considérations de sécurité et les considérations humanitaires, et que des efforts intenses sont faits pour améliorer les conditions de détention, mais que le système actuel est saturé : en 2008 il a dû traiter 2.775 nouveaux cas, par rapport aux 1.702 de l’année 2007. Finalement, bien que les commentaires du groupe de travail des Nations Unies indiquant que l’immigration illégale est un problème qui doit être abordé par le monde entier, soient admissibles, il faut signaler que ces recommandations avait déjà été faites auparavant, avec peu de résultats15.
La crise financière et l’opinion publique
L’Eurobaromètre16de l’automne 2008 montre que le pessimisme des maltais sur l’économie augmente de plus en plus ; la confiance dans le système politique diminue et l’espoir d’une amélioration de la qualité de vie se réduit aussi17. La majorité absolue (57 %) a évalué l’économie de manière négative et seulement 39 % la perçoit en bonne santé. En même temps, 45 % attend une détérioration après 2009 – une forte augmentation du pessimisme économique, de 25 %, par rapport à 2007.
La situation de l’emploi sera plus grave selon 32 % et seulement 23 % pense que la situation s’améliorera, tandis que 27 % n’attend pas de changements pendant les 12 prochains mois. Les enquêtés qui disent avoir eu des problèmes pour payer leurs factures représentent 65 %, tandis que seulement 28 % a déclaré ne pas avoir eu de problèmes. Ceux qui croient que Malte est plus stable économiquement grâce à l’adoption de l’euro représentent 56 %, alors que ceux qui ne sont pas de cet avis représentent 33 %. La confiance des maltais dans l’euro est plus forte que celle des autres habitants de la zone euro, où 48 % des enquêtés considèrent que l’euro a aidé à stabiliser leurs économies, face à 42 % qui pense le contraire.
Sur le plan politique, 51 % des maltais ont exprimé leur mécontentement avec les partis politiques, et seulement 34 % ont exprimé leur confiance, ce qui s’est reflété lors des élections législatives de mars 2008, avec une participation légèrement plus faible que d’habitude. Par ailleurs, 59 % des maltais ont déclaré leur confiance dans la Commission Européenne, face à 13 % qui sont méfiants. Le Parlement Européen est l’institution qui génère le plus de confiance parmi les maltais – 64 % a déclaré avoir confiance, tandis que 14 % a déclaré le contraire. Une proportion plus faible, 57 %, a une tendance à avoir confiance dans le parlement maltais, ce qui représente une augmentation de 15 points par rapport à 2007; 50 % a confiance dans le gouvernement en tant qu’institution – une augmentation de 5 points de pourcentage – et 37 % n’a pas confiance.
Il est difficile de quantifier les problèmes d’inégalité et de pauvreté à Malte, puisqu’il n’est pas simple d’avoir accès aux statistiques. Le nombre croissant d’immigrants qui s’installent dans différentes zones a créé un phénomène de « ghettoïsation ». Ces ghettos sont des trappes à pauvreté et des bouillons de culture pour de futures tensions sociales. Lorsqu’on considère les conséquences de la crise économique, la hausse des prix des aliments et des services publics, la semaine de quatre jours, les licenciements et les retraités qui survivent avec une pension maximum plafonnée il y a 30 ans, on ne peut que faire le pronostic qu’en 2009 il y aura davantage de personnes
« nécessiteuses ».
1 Banque Centrale de Malte. Quarterly Review 2008, 41:4. Disponible sur : <www.centralbankmalta.org/updates/downloads/pdfs/qr_2008_4.pdf>.
2 Eurostat (2009). “Euro Area External Trade Deficit 32.1 bn Euros”, Communiqué de presse 21/2009. Le 17 février. Disponible sur : <epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/6-17022009-AP/EN/6-17022009-AP-EN.PDF>.
3 Commission Européenne des Affaires Economiques et Financières (2009). “Spring Forecasts 2009–2010.” Le 4 mai. Disponible sur : <ec.europa.eu/economy_finance/thematic_articles/article15178_en.htm>.
4 Banque Centrale de Malte. Quarterly Review 2008.
5 Syndicat des Sages-Femmes et Infirmières de Malte (MUMN), Syndicat des Professeurs de Malte (MUT), Syndicat Général des Travailleurs (GWU), Syndicat de l’Equipage de Cabine, Syndicat Haddiema Bank Centrali, Union des Techniciens et du Personnel Administratif de l’Autorité de la Planification et de l’Environnement de Malte, Syndicat Professjonisti Awtorità ghall-Ambjent u Ppjanar, Association du Personnel Académique de l’Université de Malte (Umasa), Association des Pilotes de Ligne, Syndicat Periti u Inginiera Servizz Pubbliku et Association d’Ingénieurs de Lignes Aériennes.
6 Voir : <www.di-ve.com/Default.aspx?ID=72&Action=1&NewsID=57111&newscategory=31>.
7 Sansone, K. (2009). “GRTU Has No Faith in Resources Authority”. Times of Malta, le 29 janvier. Disponible sur : <www.timesofmalta.com/articles/view/20090129/local/grtu-has-no-faith-in-resources-authority>.
8 Département de l’Information. Communiqué de presse, No. 0164, le 3 mars 2009. Disponible sur : <www.doi.gov.mt/>.
9 Bureau National de Statistiques. “Departing Tourists: December 2008”. News release 015/2009. Le 27 janvier 2009. Disponible sur : <www.nso.gov.mt/statdoc/document_file.aspx?id=2413>.
10 Voir : <www.doi.gov.mt/en/press_releases/2007/10/pr1620.asp>.
11 Concord (2008). No Time to Waste: European Governments Behind Schedule on Aid Quantity and Quality. Bruxelles : Concord. Disponible sur : <www.concordeurope.org/Files/media/extranetdocumentsENG/NavigationSecondaire/WorkingGroups/Aidwatch/Aidwatch2008/Light-Full-report.pdf>.
12 Nations Unies. “Annex to Press Release: UN Working Group on Arbitrary Detention Concludes Visit to Malta”. Le 26 janvier 2009. Disponible sur : <www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/view01/125F21AAD7DCBD1AC125754A0057F318?opendocument>.
13 Voir : <docs.justice.gov.mt/SENTENZI2000_PDF/MALTA/CIVILI PRIM AWLA (SEDE KOSTITUZZJONALI)/20>.
14 Voir : <www2.justice.gov.mt/kawzi/ccm_sitt.asp?FrmCM=213021&lng=>.
15 Voir : <www.doi.gov.mt/EN/press_releases/2009/01/pr0102.asp>.
16 Voir : <ec.europa.eu/public_opinion/index_en.htm>.
17 Voir: <ec.europa.eu/public_opinion/index_en.htm>.