MEXIQUE

L´aggravation de la crise et les défis à relever pour les droits sociaux

Laura Becerra Pozos1
Areli Sandoval Terán2
Adhesión d´Espacio DESC3

Le Mexique présente le pire des scénarios possibles pour affronter une crise en gestation depuis des années. La crise systémique a aggravé des problèmes préexistants,  comme la pauvreté croissante, la réduction de l´activité du secteur agricole, la création insuffisante d´emplois et la diminution du PIB. Alors que les mesures annoncées par le Gouvernement soutiennent le modèle économique néolibéral, l´insatisfaction des citoyens augmente et la société civile ne cesse de faire des propositions. Il est impératif de trouver des alternatives et des stratégies capables d’affronter cette crise multiple, afin d´en minimiser les impacts et de poser les bases d’un nouveau modèle.

Différentes organisations de la société civile mexicaine considèrent que la crise actuelle est systémique et s´exprime non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan alimentaire, du travail, de l´environnement et de l´énergie, entre autres ; cette crise est également provoquée par le modèle économique capitaliste néolibéral fondé sur la dérégulation financière et l´ouverture commerciale, ainsi que par son propre épuisement. Cette crise touche tous les pays de la planète, mais elle est particulièrement sévère dans les pays du Sud4.

Comme l’explique le chercheur mexicain Arturo Guillén5, la crise a suivi un parcours complexe, sa dernière étape étant déclenchée par la crise immobilière aux États-Unis et la récession économique qui s’en est suivie. Celle-ci s´est « rapidement mondialisée », provoquant des diminutions du PIB même dans des économies importantes d´Europe et d´Asie. La crise s´est également propagée en Amérique latine, son développement étant variable selon les pays, régions et secteurs. On s´accorde à dire que cette crise n´a pas uniquement des causes externes ; en effet, elle dérive également de certains facteurs endogènes6.

La crise au Mexique7 

Sans négliger les effets de la crise globale sur notre pays, il faut dire qu´un grand nombre des problèmes actuels étaient déjà présents dans l´économie mexicaine, comme la croissance de la pauvreté en termes absolus8, la réduction de l´activité du secteur agricole, la création insuffisante d´emplois (malgré les résultats légèrement favorables des exportations et importations avant la crise) et la diminution du PIB (Produit Intérieur Brut), entre autres. On ne peut que constater que la crise systémique n’a fait qu’aggraver les problèmes.

Les chiffres ci-après illustrent les effets de la crise au Mexique :

  1. La hausse du prix de l´essence et du diesel au niveau mondial qui depuis 2007 se reflète sur le prix des aliments a provoqué au Mexique une augmentation de l´inflation des aliments supérieure à l´inflation générale. En janvier 2009, l´inflation des aliments s´est située au niveau de 11,3 %, alors que l´inflation générale a été de 6,3 %. L´impact a été plus fort pour les populations à faibles revenus, étant donné qu´elles consacrent un plus grand pourcentage à l´achat des aliments9.
  2. Au cours du troisième trimestre 2008, 71,3 % de la population économiquement active, c´est-à-dire 31 millions de personnes, vivaient avec un revenu correspondant à trois salaires minimaux –152 pesos (MXN) par jour (11,4 USD environ) – ou moins ; le taux de chômage se situait autour de 4,2 %, ce équivalait à 1,9 millions de personnes au chômage ; 11,8 millions de personnes survivaient grâce au commerce informel10.
  3. Les exportations aux États-Unis se sont effondrées, et des centaines de milliers de personnes perdent leurs emplois, alors que les entreprises procèdent à la réduction de leurs dépenses. En novembre 2008, les exportations manufacturières du Mexique ont diminué de 7,3 % en moyenne, alors que les exportations aux États-Unis ont diminué de 18 %11.
  4. De l´autre côté de la frontière, le chômage des immigrés mexicains augmente et les transferts d´argent des migrants diminuent ; pour décembre 2008, le pourcentage de variation annuelle des transferts totaux au Mexique a été de -9,8 %12. Il faut souligner que les transferts d´argent des migrants ont joué un rôle fondamental sur les revenus des foyers mexicains : dans le premier quintile de revenus (20 % des plus démunis), y compris des foyers recevant des transferts d´argent, 6 MXN sur 10 proviennent de ces transferts. Il est probable que ces foyers-là soient ceux qui subissent le plus l´impact de la diminution des transferts13.

En février 2009, le taux du chômage s´est situé à 5,3 %14 et l´activité industrielle a diminué de 13,2 %15 ; il s´agit des pires chiffres depuis l’ « effet tequila » qui s´est déclenché au Mexique vers le milieu des années 90. C´est pour cela que les analystes partagent le diagnostic selon lequel le pays subira une récession encore plus profonde après la crise actuelle.

Les graves impacts de la crise sur le plan du travail seront les prétextes pour geler ou réduire les salaires, ainsi que pour précariser, flexibiliser et externaliser encore plus le travail, tout en réduisant les droits et limitant la marge d´action des syndicats.16

En ce qui concerne le secteur agricole mexicain, l´absence d´une politique agraire juste, voire l´indifférence, ont provoqué depuis des années trois types d´impacts aggravés par la crise : 1) la spéculation sur les aliments dans les bourses de valeurs, les rendant inaccessibles aux familles les plus pauvres ; 2) l´invasion des marchés nationaux par des aliments produits et commercialisés par les compagnies trans-nationales, dont la forte productivité provoque la détérioration des sols, des forêts et des réserves d´eau, leur permettant de l´emporter dans la folle course à la production et au libre commerce (le dumping détruisant d´ailleurs les systèmes productifs nationaux, notamment les systèmes traditionnels) ; et 3) l´irruption massive des semences génétiquement modifiées qui détruit les semences naturelles et les anciens écosystèmes17. Face à la crise du secteur agraire mexicain, la campagne nationale « Sin maíz no hay país »  (Pas de pays sans maïs)18, à laquelle nous adhérons, propose parmi d´autres mesures de passer d´un modèle d´agriculture fondé sur de grandes unités de production de monocultures, impliquant une utilisation croissante de l´eau, d´équipement et d´intrants polluants, à une agriculture paysanne durable à petite et moyenne échelle qui n´a pas seulement le potentiel pour répondre aux besoins alimentaires des femmes et des hommes mexicains, mais possède aussi des vertus écologiques additionnelles.

Ce qui précède nous permet d´affirmer que le Mexique présentait le pire des scénarios possibles pour affronter une crise imminente en gestation depuis plusieurs années. Le Gouvernement s´est soumis au modèle économique néolibéral sans le remettre en question, et plusieurs mesures annoncées ne sont que des ajustements mineurs qui le maintiennent et l´accentuent.

Le Gouvernement et la société civile face à la crise

Lors du dernier Sommet des Amériques, la CEPAL a confirmé que les pays du continent manquent de stratégie commune pour sortir de la crise et qu´ils ont annoncé et mis en place des mesures très diverses19.

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En octobre 2008, peu après avoir minimisé les impacts que la crise américaine aurait au Mexique, étant donné « la solidité des finances publiques », le Gouvernement fédéral a annoncé le Programme d´encouragement de la croissance et de l´emploi (PICE, sigle en espagnol), un plan anti-crise énoncé en cinq points : 1) augmenter les dépenses publiques en infrastructure pour encourager la croissance économique ; 2) changer les règles concernant l´exercice de ces dépenses en infrastructure par le secteur public, afin de le flexibiliser ; 3) entamer la construction d´une nouvelle raffinerie ; 4) lancer un programme extraordinaire de soutien aux PME au Mexique ; 5) rendre plus compétitif l´appareil productif national à travers un nouveau programme de dérégulation et de détaxe fiscale.

A ce moment-là, le Gouvernement fédéral a soutenu que depuis des années notre dette extérieure diminuait, que notre inflation était la plus basse en Amérique latine et que nos réserves étaient de plus de 90 milliards de USD, ce qui nous permettrait de résister aux pressions de la balance commerciale21. Six mois après, lors du Sommet du G-20 au début du mois d´avril 2009, le Gouvernement a reçu l´aide du FMI, qui lui a accordé un prêt de 47 milliards d’USD. Lors de ce même Sommet, il a été annoncé que les économies émergentes, dont le Mexique, recevraient 850 milliards d’USD additionnels pour financer, entre autres, les dépenses contra-cycliques, la recapitalisation des banques et les dépenses en infrastructure 22.

Sans avoir touché les 7 milliards d’USD reçus du FMI, de la Banque Mondiale et de la Banque Interaméricaine de Développement, l´administration du président Felipe Calderón a augmenté la dette publique à un niveau de 968.477 milliards de MXN (72.744 milliards d’USD environ) au cours des deux premières années de gestion seulement (2007-2008). Ce montant équivaut à 12 fois l´endettement pris au cours des deux premières années du gouvernement d´Ernesto Zedillo (1995-1996), lorsque le pays a dû faire face à la plus grave crise économique de ces soixante dernières années23. Il est extrêmement préoccupant que ces mesures, en plus d´augmenter la dette publique mexicaine, réaffirment l´adhésion au modèle économique néolibéral et ses institutions, dont les limitations et les contradictions ont été signalées dans des forums très divers. Il est également surprenant de constater cette adhésion alors que plusieurs pays d´Amérique latine sont en train d´essayer de prendre des mesures ou des processus différents de ceux préconisés par le modèle néolibéral.

Face à la crise, l´insatisfaction des citoyens n´a fait que s´accentuer, mais plusieurs propositions ont été formulées, comme celle du Mouvement national pour la souveraineté alimentaire et énergétique, les droits des travailleurs et les libertés démocratiques, exprimées dans une lettre du 16 avril 2009 à l´intention du président des États-Unis, Barack Obama. Dans cette lettre, nous proposons d´entamer « le dialogue au plus haut niveau pour aborder les questions incluses dans l´agenda visant à renégocier de manière urgente les termes du TLCAN et sauvegarder les droits du travail, sociaux et humains des citoyens de notre région ». Il s´agirait de créer un Fonds de Compensation Asymétrique pour l´Amérique du Nord, de négocier un accord binational sur la question migratoire et de signer un accord pour encourager le Traité pour le développement économique et social de l´Amérique du Nord.

Certains pensent que les crises offrent une opportunité pour de nouvelles conceptions théoriques. Dans tous les cas, il est urgent de proposer de nouvelles idées, des alternatives et des stratégies susceptibles de faire face « aux crises », que ce soit pour en minimiser l’impact ou pour reformuler le modèle.

Surveiller les dépenses publiques

A court et moyen termes, une question importante pour les organisations civiles travaillant, comme nous, sur le développement social et les droits de l´homme, sera la surveillance des dépenses publiques à partir de l´obligation de l´État d´accorder le maximum des ressources disponibles pour atteindre progressivement les droits économiques, sociaux et culturels et soutenir l´idée selon laquelle « même en temps de grave pénurie de ressources dû à un processus d'ajustement, à une récession économique ou à d'autres facteurs, les éléments vulnérables de la société peuvent et doivent être protégés grâce à la mise en oeuvre de programmes spécifiques relativement peu coûteux. »24. Il faut mentionner que le Gouvernement mexicain a répondu à la crise de 1995 par des réductions de dépenses, ce qui a gravement nui aux secteurs de l´éducation, de la santé et de l’énergie électrique, empêchant en ce sens de réaliser les DESC. Le Gouvernement fédéral a assuré qu´il maintiendra ses niveaux de dépenses, mais il est tout à fait nécessaire de garantir que le budget priorisera « son approche sociale de manière efficace et soutenue, en réduisant les coûts d´exploitation, en se donnant de nouvelles priorités et en réduisant les frais d´administration dans certains de ses services »25.

Du point de vue des droits, il sera également fondamental de suivre l´investissement en infrastructure, dans le cadre du PICE, afin d´assurer notamment que s´il est décidé d´investir dans de grands projets d´infrastructure (des barrages, par exemple), cela devra être dûment communiqué aux communautés qui pourraient se voir atteintes par cette construction. Par ailleurs, des études d´impact social et environnemental devront être réalisés afin d´évaluer la faisabilité et la capacité du projet dans le cas de  promouvoir véritablement la réalisation. 

A long terme, l´opportunité qui se présente à nous ne nous oblige pas seulement à résister, mais aussi à élaborer et encourager un modèle économique et social plus juste, pour sortir de cette crise et pour en éviter des nouvelles26. Dans tous les cas, nous considérons que le respect des normes internationales des droits de l´homme est la clé pour rendre possible un pays meilleur, un monde meilleur.

 

1 Directrice Exécutive de DECA Equipo Pueblo, A.C., point focal de Social Watch au Mexique depuis 1996,  <laurabecerra@equipopueblo.org.mx>.

2 Coordinatrice du Programme Diplomacia Ciudadana, DESCA et  Social Watch México <arelisandoval@equipopueblo.org.mx>.

3 Groupe de référence pour Social Watch au Mexique.

4 “Para un nuevo modelo económico y social ¡Pongamos la finanza en su sitio!” (Pour un nouveau modèle économique et social. Remettons les finances à leur place !). Appel résultant d´une série de séminaires du Forum Social Mondial de Belem 2009.

5 Arturo Guillén, Professeur et chercheur titulaire du Département de l´Économie de l´UAM. La Crisis Global y la Recesión Generalizada. Version préliminaire. Mars 2009, UIztapalapa, Mexique.

6 Déclaration du Colloque international “La Crisis Global y América Latina” à l´UAM-U Iztapalapa du Mexique, janvier 2009.

7 Les estimations sur la réalité nationale se fondent sur des documents recueillis par le Mouvement national pour la souveraineté alimentaire et énergétique, les droits des travailleurs et les libertés démocratiques ; l´Alliance démocratique des organisations civiles (ADOC) ; ainsi que sur les résultats de la séance  “Análisis y Estrategia sobre la Crisis” (Analyse et Stratégie de la Crise) de l´Espace DESC (23 avril 2009), dont l´équipe Pueblo fait partie.

8 Alberto Serdán Rosales. “México: Pobreza y presupuesto social en el contexto de la crisis financiera 2008-2009” (Mexique : Pauvreté et budget social dans le contexte de la crise financière 2008-2009), présentation lors de la séance de l´Espace DESC du 23 avril 2009. Informations complémentaires sur : <alserdan.blogspot.com>.

9 Alberto Serdán Rosales, d’après des données de la Banque du Mexique (2009) et de l´Enquête nationale des revenus et dépenses des foyers (ENIGH 2006).

10 Chiffres tirés de l´Enquête nationale du travail et de l´emploi (ENOE) correspondant au troisième trimestre 2008, publiées dans El Financiero, journal national, 18 novembre 2008.

11 Alberto Serdán Rosales, d’après des données de la Banque du Mexique, 2009.

12 Ibid.

13 Alberto Serdán Rosales. "México: Pobreza y presupuesto social en el contexto de la crisis financiera 2008-2009", présentation lors de la séance de l´Espace DESC du 23 avril 2009.

14 ENOE, mars 2009 à : <www.inegi.org.mx/inegi/contenidos/espanol/prensa/comunicados/ocupbol.asp>.

15 Voir : <www.cnnexpansion.com/economia/2009/04/17/la-produccion-industrial-cae-132>.

16 Héctor de la Cueva(2009). Otra Integración es posible y otra salida a la crisis también: Escenarios de las Américas en el 2009 y los retos del Movimiento Sindical. (Une autre intégration est possible et une autre porte de sortie de la crise également : Scènes des Amériques en 2009 et les défis du Mouvement Syndical.) Mexique.

17 "La guerra que Obama ignora" (la guerre qu’Obame ignore), Víctor Quintana, député fédéral de l´état de Chihuahua, Mexique, La Jornada, 17 avril 2009.

18 Informations complémentaires à : <www.sinmaiznohaypais.org/>.

19 « La reacción de los gobiernos de las Américas frente a la crisis internacional: una presentación sintética de las medidas de política anunciadas hasta el 31 de marzo de 2009 » (La réaction des gouvernements des continents américains face la crise internationale : une présentation synthétique des mesures politiques annoncées jusqu'au 31 mars 2009). Vème Sommet des Amérique, Port d´Espagne, 17 – 19 avril 2009. Disponible sur : <www.eclac.org>.

20 Ibídem.

21 ”Anuncia Calderón plan anticrisis de 5 puntos " (Calderón annonce un plan anticrise en 5 points). El Universal, 8 octobre 2008. Disponible sur : <www.eluniversal.com.mx/notas/545274.html>.

22 La Jornada, 3 avril 2009, p. 3.

23 Susana González et Israel Rodríguez. "Calderón elevó la deuda pública casi en un billón de pesos en 2 años" (Calderón a augmenté la dette publique à quasiment un billion de pesos en 2 ans). La Jornada, 13 avril 2009.

24 ONU, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no. 3 "La nature des obligations des États parties", alinéa 12.

25 Alberto Serdán Rosales. "México: Pobreza y presupuesto social en el contexto de la crisis financiera 2008-2009", présentation lors de la séance de l´Espace DESC du 23 avril 2009.

26 Héctor de la Cueva (2009), Op. cit.