VENEZUELA

Une démocratie pas si participative que ça

Programme Vénézuélien d'Education-Action pour les Droits de l'Homme (Provea)
Rafael Uzcátegui

Dans un contexte à forte polarisation politique, la discussion sur l'impact de la crise économique mondiale dans le pays a été reportée. Une série de mesures impulsées par le Gouvernement essaient d'assurer la sécurité alimentaire, l'accès universel aux systèmes de santé, au logement et à l'éducation. Cependant, il reste des problèmes quant à la distribution des aliments, les réductions des couvertures sociales et la réponse insuffisante face à la demande de logements. C'est dans le domaine de l'éducation que les résultats obtenus sont les plus proches des résultats espérés.

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Après avoir acquis la ratification pour un second mandat présidentiel en décembre 2006, le chef  d'État Hugo Chávez a pu faire approuver, en février 2009, un Amendement Constitutionnel qui lui permettrait une réélection indéfinie. Ce processus électoral a généré une vaste polémique et a revitalisé la polarisation existante dans la société vénézuélienne.

Le climat électoral a reporté la discussion concernant les possibles conséquences de la crise économique mondiale pour le pays1. Malgré une forte dépendance de l'exportation des hydrocarbures, le président Chávez s'est montré optimiste face à l'impact de la récession globale: « Vous pourriez mettre le prix du pétrole à zéro que le Venezuela ne subirait pas la crise2 » L'augmentation des prix du pétrole brut a généré des recettes considérables et des excédents monétaires, ce qui a eu des répercussions sur la hausse continue des importations et généré une augmentation du niveau de l'endettement public. La prospérité pétrolière elle-même a rendu possible le développement de différents programmes sociaux - appelés « missions » - et la réduction des indices de pauvreté.

D'après la Loi du Budget pour l'Année Fiscale 20093, les recettes pétrolières représentent 46,5 % des sources de financement du pays. 12,5 % du budget total est consacré aux programmes et aux missions sociales . Bien que cette planification mette l'accent sur l'investissement de nature sociale, on estime à 15 % l'inflation qui a sévi pendant cette période - quatre points au dessus de l'inflation stipulée pour 2008, dont le taux inflationniste réel s'est situé à 30,9 %, le plus élevé de la région pour la troisième année consécutive4.

Sécurité alimentaire

En 2004, le Décret Présidentiel n° 3118  a créé le Ministère de l'Alimentation, dont la mission était de promouvoir la mise en place des réserves opératrices et stratégiques d'aliments qui garantiraient la sécurité alimentaire de la population. La mission alimentaire qui a vu le jour en 2003 avec le Réseau de Marchés d'Aliments CA-MERCAL a été mise sous sa tutelle ainsi que la Fondation Programme des Aliments Stratégiques et 1.000 centres alimentaires implantés en 2004 et qui atteignent maintenant, d'après les chiffres du Ministère, un nombre de 5.963 actifs, 65 non-opérationnels et 47 inactifs5.

Les aliments ont fait partie des produits les plus sensibles à l'inflation. Des statistiques de la Banque Centrale du Venezuela signalent qu'entre mars 2007 et mars 2008 leur prix a augmenté de 42,6 %, la plus haute variation de ces 11 dernières années. Cette tendance se maintient jusqu'à présent, avec une hausse constante des prix pour le consommateur. Certaines autres variables vont à l'encontre des efforts de l'État pour garantir le droit à l'alimentation des populations les plus vulnérables. Depuis 2006 le pays s'est vu atteint par une situation fluctuante de désapprovisionnement alimentaire, celle-ci ayant atteint son niveau de plus forte intensité entre fin 2007 et début 2008, époque pendant laquelle 13 des aliments du panier de base de la ménagère ont souffert de problèmes de pénurie.

Malgré un discours en faveur de la souveraineté alimentaire, le Gouvernement a eu recours a des importations croissantes. Le Ministre de l'Alimentation a reconnu que MERCAL, un programme social qui distribue des produits subsidiaires dans les zones populaires du pays, importait 70 % des produits qu'il offrait. Pour l'année 2008 on calcule que 45,6 % des 2.460 calories en moyenne qui ont été consommées quotidiennement au Venezuela provenaient d'aliments achetés à l'étranger. Cette même année MERCAL a bénéficié 9.642.170 personnes, en obtenant la vente de 1.297.506 tonnes d'aliments. Le mois de janvier 2008 a vu la création de la Productrice et Distributrice d'Aliments (PDVAL), une industrie filiale de Pétroles du Venezuela dans le domaine agricole. Le ministre du Pouvoir Populaire pour l'Energie et le Pétrole, Rafael Ramírez, a annoncé qu'il s'agirait d'un réseau alimentaire à l’échelle nationale permettant un accès aux aliments à un prix régulé par l'État. Actuellement PDVAL agit en parallèle et selon des modalités similaires a celles du réseau MERCAL, avec une distribution estimée à 755.000 tonnes à niveau national pour l'année 2009.  

En 2007, le niveau général de consommation des vénézuéliens et des vénézuéliennes a augmenté de 20 %, une hausse due à l'amélioration de leur pouvoir d'achat. D'après des chiffres révélés par le président Chávez, la consommation quotidienne de calories avait augmenté de 23 %, passant de 2.202 à 2.717 calories6. Les indices de pauvreté eux-mêmes se sont vus diminuer grâce aux effets de la prospérité économique, conséquence des recettes pétrolières et fiscales élevées. Des informations correspondant au second semestre de l'année 2007 ont estimé que la pauvreté des revenus  concernait  33 % de la population, alors que la pauvreté extrême avait diminué à 9,6 %7. De son côté, l'Indice de Développement Humain a atteint 0,8263, chiffre supérieur au 0,7793 de la décennie antérieure. En outre, l'Institut National de Nutrition a établi l'Indice de Prédominance de Malnutrition pour l'année 2006 à 6 %, dont la projection respecterait l'objectif du millénaire relatif à l'éradication de la faim pour 2015. Cependant, la hausse des prix diminue les salaires de la population. Pour janvier 2009, le coût du panier alimentaire s’est situé autour de 750 USD8, l'équivalent de deux salaires minimums (371,73 USD).

Le Venezuela ne repose pas encore sur une stratégie intégrale de sécurité alimentaire caractérisée par sa systématicité, comme le suggère l'Observation Générale N° 12 du Comité des Nations Unies des Droits Economiques, Sociaux et Culturels. S'il est vrai que la distribution d'aliments à bas prix a atteint des niveaux de réussite significatifs, d'autres aspects, comme l'accroissement de la production agricole nationale, se trouvent beaucoup moins développés.

Le droit à l'éducation

C'est dans l'accomplissement du droit à l'éducation que le Venezuela présente ses chiffres les plus positifs. Pour la campagne mondiale en faveur de l'éducation le pays présente quelques-uns des meilleurs indicateurs d'Amérique Latine en la matière, et d'après le Mémoire et Compte-Rendu de 2008, délivré par le président à l'Assemblée Nationale le 9 janvier 2009, 7,5 millions de vénézueliens et vénézueliennes étaient inscrits dans les divers niveaux du cursus scolaire. Mieux encore, il s'est avéré que le niveau d'analphabétisme était descendu à 0,4% grâce à l'implantation de la mission Robinson ; et dans la mission Robinson II plus de 437.000 étudiants, dont 81.000 sont indigènes9, ont été diplômés. D'autre part, 345.000 bourses d'étude ont été remises à des personnes à faibles revenus, tandis que 67.000 personnes ont été formées pour pénétrer sur le marché du travail. Ces nombres coïncident avec ceux du Ministère de l'Éducation qui a informé que la disponibilité des établissements éducatifs avait augmenté de 2,8 %, avec la construction de 726 nouveaux centres scolaires. Entre le 1er et le 6ème degré (entre le CP et la 6ème) le taux de redoublement est de 5,1 %, alors que l’assiduité scolaire ne cesse de s'améliorer : sur cent étudiants qui s'inscrivent en 1er degré, soixante-six arrivent au 9ème degré (3ème), soit trois de plus que pendant la période précédente et vingt-deux de plus que pendant l'année scolaire 1999-2000.

Droit à la santé et au logement

S'il est vrai qu'on a pu noter une avancée des réalisations dans les domaines de l'éducation et de l'alimentation, on a constaté des stagnations ou des régressions concernant d'autres droits (économiques, sociaux et culturels).  En matière de santé, des avancées normatives dans la propre Constitution ainsi que les efforts de promotion du gouvernement n'ont pas suffi à surmonter les problèmes structuraux de ce secteur.

A partir de décembre 2003, le pouvoir exécutif a mis en marche la Mission Barrio Adentro (Mission à l’Intérieur des Quartiers) comme un moyen d'améliorer les soins de base dans les zones populaires. A court terme de fortes avancées ont été enregistrées, en partie grâce à la participation de 14.345 coordinateurs et médecins et la construction de différents modules d'assistance dans tout le pays. Cependant, un ralentissement de cette politique sanitaire a été constaté en 2008 et  les plaintes déposées pour fermeture de modules et réduction du nombre de médecins se sont multipliées - on estime à 8.500 le nombre de professionnels et de coordinateurs présents dans la Mission10 cette année-là. Cette stratégie s'est développée parallèlement et selon des modalités similaires au réseau hospitalier national et les principaux centres sanitaires présentent encore de grave déficiences. Ce manque de coordination s'est approfondi à cause du retard de 9 ans, de la part de l'Assemblée Nationale, pour promulguer une Loi Organique de Santé.

Quant à l'application du droit au logement, le Gouvernement n'a pu atteindre en 10 ans ses propres objectifs dans ce domaine. En 2008, d'après des informations officielles parues dans les médias de communication, 23.223 nouveaux logements ont été construits. Le Ministère du Logement a estimé le déficit habitationnel du pays à 2.800.000 logements – un million concernant de nouvelles familles, 800.000 maisons « ranchos » (habitations très précaires dans les campagnes) qui doivent être remplacées et un million de maisons situées à flanc de colline, dans des vallons et des zones à haut risque. On calcule que 200.000 logements annuels doivent être construits pour amortir le déficit en 10 ans. L'année 2007 a connu le chiffre le plus élevé atteint par le Gouvernement Bolivarien avec un total de 61.512 nouveaux logements11. En 2005, le pouvoir exécutif a fait monter le bureau chargé des politiques de construction de logements à un rang ministériel, une mesure entravée par la fragilité institutionnelle du secteur. Pour la seule année 2008, quatre fonctionnaires différents au total, trois hommes et une femme12, ont été désignés comme ministres du Logement et de l'Habitat, une rotation élevée des postes de direction qui n’a pas facilité la continuité des politiques en la matière. Quant à l'année 2009, l'instabilité du Ministère se poursuit à la suite de la fusion, en février, du Ministère du Logement et de l'Habitat avec celui des Infrastructures en un nouvel organisme dénommé Ministère du Pouvoir Populaire pour les Travaux Publics et le Logement.

Droit à la vie et à la sécurité citoyenne

Dans le domaine des droits du travail, le taux de chômage a continué de baisser, atteignant 7,2 %. Pour la 5ème année consécutive l'économie informelle décroît, 43,2 % en septembre 2008, face à l'économie formelle, calculée à 56,8 % pour la même date. Cependant, le pourcentage de personnes qui ont un emploi sans pouvoir bénéficier des divers avantages des travailleurs établis dans les lois vénézueliennes est encore élevé. D'autre part, le procédé des engagements collectifs dans le secteur public s´est encore vu paralysé, réduisant ainsi la possibilité des travailleurs de faire face à l'inflation. L'augmentation d'homicides enregistrés dans le cadre de conflits du travail associés au droit à l'emploi constitue une grave régression. L'affrontement entre syndicats du secteur de la construction et du pétrole pour le contrôle des postes de travail a atteint en 2007 son nombre le plus élevé, 48 leaders syndicaux exécutés par des tueurs à gage. En 2008, 21 dirigeants ont été assassinés.

En fait, la violence est devenue l'un des principaux problèmes. D'après les chiffres du Corps d'Investigations Scientifiques, Pénales et Criminalistiques (CICPC), 10.606 homicides par armes à feu ont été enregistrés dans tout le pays entre janvier et septembre 2008. À Caracas on estime à 130 le nombre d'homicides pour 100.000 habitants, un des taux les plus élevés du continent. Pendant l'année 2008 on note une augmentation des vols de 8 %, un accroissement des homicides de 11 % et une hausse alarmante des enlèvements de 101 %. En 2008, Provea a enregistré 247 cas de violations du droit à la vie, les trois corps policiers qui accumulent les plaintes les plus importantes étant le CICPC (18,6 %), la Police de l'état de Lara (12,55 %) et la Police de l'état d’Anzoátegui (7,2 %).

Les hauts niveaux de violence concernent différents secteurs et conflits. D'après le rapport 2008 de l'Observatoire Vénézuelien des Prisons, la population pénitentiaire du pays comptait 23.457 individus. Pendant cette année-là, 422 reclus et recluses sont décédés pour cause de violence. Sans oublier les 854 hommes et femmes blessés par armes à feu et objets pénétrants. D'autre part, sept leaders paysans ont été assassinés dans des affrontements liés à des combats pour des terres en 2008. D'après des estimations diffusées par Braulio Álvarez, député et coordinateur du Front Paysan Simón Bolívar, 214 paysans13 ont été assassinés depuis que la Loi des Terres et du Développement Agraire a été décrétée.

Criminalisation de la société civile

Pendant les années de gestion du président Hugo Chávez, la participation populaire a été encouragée dans le cadre de la construction de la dénommée démocratie participative. Cependant, l'impact de celle-ci a été limité par une tendance à l'exclusion de vastes secteurs sociaux pour des raisons politiques ou idéologiques. Des pressions sur les fonctionnaires publics ont été dénoncées pour participer à des actions prosélytistes et pour la constitution de réseaux clientélistes dans les zones populaires qui excluent les non-partisans du Chef de l'État. Dans la même dynamique, la militarisation progressive des organisations populaires et son incorporation dans des emplois de sécurité citoyenne inquiète, ce qui pourrait donner lieu à de potentielles violations des droits de l'Homme. A un autre niveau, la tendance à la criminalisation de la protestation continue. En 2008, 1.763 manifestations ont été enregistrées dans tout le pays, dont 83 ont été réprimées, interdites ou entravées par les organismes de sécurité de l'État. Au moins 89 manifestants ont été soumis à des procès judiciaires pénaux pour leur participation aux protestations. Parallèlement, trois personnes ont été assassinées par des policiers pendant les manifestations.

De sérieuses difficultés d'accès à l'information publique se font de plus en plus évidentes, ce qui fragilise, entre autres, le droit des citoyens à exercer les tâches de contrôle social. En conclusion, le travail des Organisations Non Gouvernementales pour les Droits de l'Homme du pays continue d'être entravé et criminalisé, divers porte-paroles du Gouvernement les accusant d'avoir des objectifs de déstabilisation et de faire partie d'un agenda défini par Washington. Dans ce sens-là, l'approbation d'une Loi de Coopération Internationale a été établie comme une priorité, celle-ci réglementerait une série de filtres et de contrôles sur le travail des organisations de la société civile.

1    En novembre 2008 se sont  réalisées également dans tout le pays les élections des gouverneurs et des maires.

2    Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l'Information (2008). Même avec le prix du pétrole à zéro dollars, le Venezuela ne subirait pas la crise.

3    Le Président de la République a ordonné la vérification des montants de ce budget ; cependant à la date de clôture de ce rapport le budget corrigé pour 2009 n'était pas publié.

4    Banque Centrale du Venezuela, indice de prix. Décembre 2008.

5    Statistiques du Ministère du Pouvoir Populaire pour l'Alimentation. Le 25 février 2009.

6    Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l'Information (2008). La consommation d'aliments par personne a augmenté et l'extrême pauvreté a diminué.

7    Service Intégré des Indicateurs Sociaux du Venezuela.

8    Centre de Documentation et d'Analyse des Travailleurs.

9    Dans la Mission Robinson des volontaires enseignent à des adultes à lire et à écrire ainsi que l'arithmétique.
      Robinson II permet aux gens d'obtenir des certificats d'enseignement primaire et/ou des formations pour des travaux spécifiques.

10  Programme vénézuelien d'Éducation Action pour les Droits de l'Homme (2008). Rapport Annuel octobre 2007-septembre 2008 sur la situation des droits de l'Homme au Venezuela.

11  Ministère du Pouvoir Populaire pour le Logement et l'Habitat (2008). Rapport et Compte-Rendu 2007.

12  Le 5 janvier 2008 Le Lieutenant Colonel Jorge Pérez Prado a été désigné titulaire du MINPOPOVIH. Le 12 mars 2008,  Edith Gómez l'a remplacé. Le 11 juin 2008 Ramón Carrilez a été nommé, alors qu’il occupait le poste pour la seconde fois. Le 19 juin 2008, l' architecte Francisco Sesto a été désigné titulaire du bureau du logement.

13  Radio Nationale du Venezuela.  « Des mouvements populaires unissent leurs efforts pour affronter les tueurs à gages à la campagne ».