Une perspective incertaine

Croatian Law Centre
Inge Perko-Šeparović, PhD
Kristina Babić

 Le manque d’informations mises à jour et fiables rend difficile de déterminer l´augmentation de la pauvreté en Croatie suite à la crise économique . Cependant, les indicateurs suggèrent que la récession de l’an 2009 a tourné au désavantage des améliorations récentes dans la sphère sociale, ce qui est un obstacle à la gestion de l’appauvrissement croissant du pays. Par conséquent, les circonstances deviennent de plus en plus défavorables pour accomplir le premier Objectif du millénaire pour le développement : l’éradication de la pauvreté. Tenter de réduire l’inégalité et la pauvreté alors que l’on adopte des recettes néolibérales semble non seulement être peu réaliste mais aussi imprudent.

La période 2001-2009 considérée pour ce rapport représente presque les deux tiers du délai octroyé pour l’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Pendant cette période, les données du Produit interne brut (PIB) de la Croatie montrent une croissance de près de 4,4 % jusqu’en 2008, année où il chute pour la première fois à 2,4 %.  Puis il y a eu une brusque chute de 5,8 % en 2009[1]. La dette externe, origine principale de ressources additionnelles pour faire face aux dépenses publiques, a augmenté en moyenne de 12,5 % par an pendant la même période[2], alors que la croissance des dépenses publiques a été de 6,7 % en 2008 et de 2,3 % en 2009. Cela n’a contribué qu’à aggraver la crise.     

Pauvreté en augmentation

Malgré l’augmentation du PIB per capita de HRK 25.538 (USD 4.474) en 2001 à HRK 45.379 (USD 7.951) en 2009[3], l’indice de pauvreté pendant la même période n’a pas été influencé. Lors du début de la crise économique et financière de 2008, les indicateurs de pauvreté montraient déjà des signes de régression. Le coefficient Gini – la mesure de l’inégalité des revenus appliquée  par la Banque mondiale – est passé de 0,28 en 2007 à 0,29 en 2008 et le rapport des quintiles, comparant le revenu total équivalent des deux quintiles supérieur et inférieur (20 % des plus riches et 20 % des plus pauvres) est passé de 4,3 en 2007 à 4,6 en 2008.

Par manque d’information disponible lors de l’élaboration de ce rapport, l’indice de pauvreté ne peut être présenté que sur la base de simulations faites par la Banque mondiale ; les données exactes de cette variable seront publiées par l’Office central des statistiques (OCS) en octobre 2010. La simulation des changements de la pauvreté à court terme entre 2008 et 2009 montre une croissance par rapport aux dépenses de 3,5 %. La proportion de ménages au-dessous du seuil de pauvreté accepté de USD 380 par adulte, est passée de 10 % en 2008 à 13,5 % en 2009[4]. La plus grande augmentation de la vulnérabilité, de 5,3 % à 15,8 %, s’est produite dans les ménages avec deux enfants ou plus[5]. Ainsi, au cours d’une année seulement, la récession de 2009 a effacé les récentes améliorations sociales.

Le développement économique entre 2005 et 2008 a favorisé la création de nouveaux postes de travail et la réduction du chômage. Pendant cette période, la pauvreté a été principalement liée au chômage à long terme et à l’inactivité, concentrés notamment chez les travailleurs peu qualifiés. Le taux du risque de pauvreté de 32,6 % en 2008 a été le plus élevé pour les chômeurs.  Cependant, les pertes d’emploi découlant de la crise économique ont provoqué une augmentation de 20 % du nombre des chômeurs enregistrés en janvier 2010 par rapport à l’année précédente. La réduction de l’emploi, la diminution du salaire réel (par rapport à l’indice des prix au consommateur) et le gel salarial du secteur public ont fait basculer beaucoup de gens dans la pauvreté. Les « nouveaux » pauvres se différencient nettement des "anciens" pauvres[6] : ils ont  une meilleure éducation, ils sont plus jeunes et économiquement actifs, ce sont en général des hommes travaillant dans l’industrie et ils vivent dans des régions économiquement plus développées.

Transferts sociaux

Les transferts sociaux peuvent être définis au sens large et au sens strict. Au sens strict, suivant l’Eurostat, ils comprennent les revenus relatifs au chômage, les congés maternité, les bénéfices des soins aux nouveaux nés, les allocations familiales, les bénéfices de congé maladie de plus de 42 jours, les bénéfices pour blessures personnelles et soins aux tiers, les bénéfices sociaux, les bénéfices de réinsertion et l’emploi des handicapés, les pensions pour handicapés, les frais d’éducation et les bénéfices de logement. Les transferts sociaux suivant le sens strict ont trait aux bénéfices octroyés aux individus, à savoir,  de l’argent liquide, et non pas sous forme de services (par exemple, le soin gratuit de la santé) ou de biens matériels.  

Les transferts doivent être effectifs et efficaces lorsqu’ils abordent la pauvreté pour qu´il y ait un effet de redistribution important, de façon à réduire le taux de pauvreté. Ainsi, les réductions les plus importantes ont été produites par les dépenses publiques destinées aux bénéfices sociaux.  

L’OSC n’a pas encore adopté la méthodologie d’Eurostat pour collecter les données des dépenses destinées à la protection sociale et aux transferts sociaux. Par exemple, la catégorie « autres recettes liquides » du questionnaire sur les dépenses des foyers est similaire à celle des transferts sociaux d’Eurostat, bien qu’il existe la variable « pension à titre familial ». 

Les frais des transferts sociaux et la croissance économique ont stabilisé le taux de pauvreté pendant la première partie de la période étudiée, malgré ses effets sur la réduction de l’inégalité sociale, très peu significatifs. Le manque de données complètes et fiables pour 2009 et l’incertitude vis-à-vis de la situation de la Croatie d’ici fin 2010 rendent impossible la présentation d’une description complète de l’impact de la crise. Des indicateurs montrent cependant que cet impact sera important et que les circonstances seront de plus en plus défavorables pour arriver à éradiquer la pauvreté. La croissante paupérisation sera difficile à contrôler.

Tous les facteurs en jeu – la diminution du PIB ajoutée à l’augmentation de la dette et des dépenses publiques – montrent clairement qu’il est nécessaire de faire des réductions radicales dans le budget. Le budget 2010 n’a pas encore été rééquilibré et on se demande où se produiront les réductions. Certes, ces réductions ne devraient pas toucher le secteur des transferts sociaux, indispensables pour atténuer la situation de plus en plus difficile des bénéficiaires. 

La ligne budgétaire des bénéfices du chômage en 2009 a été corrigée à trois reprises : le 9 avril la quantité prévue de USD 150 millions  a été augmentée de USD 20 millions ; le 18 juillet, USD 42 millions ont été rajoutés et le 3 août, la quantité a été réduite de quelque USD 22 millions (en raison de l’incidence du travail saisonnier sur la réduction du chômage). En conséquence, la ligne budgétaire des bénéfices en argent liquide pour les citoyens et les ménages a été corrigée : la somme prévue de USD 68,6 millions a augmenté de 10 % avec le premier amendement, puis a encore augmenté de USD 3 millions et s’est finalement réduite de USD 228.500. Ces exemples montrent que le Gouvernement s’est mal préparé pour la crise et qu’il n’a pas prévu les mesures appropriées pour y faire face. Le manque de prévision a laissé le pays mal équipé pour y répondre et il a réagi de manière ad hoc.   

Conclusion 

La Croatie a pris la route de la récession et sa récupération ne sera ni simple ni rapide. Il faut des connaissances, de la capacité et du courage pour choisir les politiques correctes ainsi que les instruments et les mesures visant à leur mise en application, leur monitoring et leur évaluation efficaces. Il est peu probable que les problèmes sociaux puissent être résolus de manière efficace par le biais de mesures ad hoc. Il est indispensable d’utiliser de manière optimale les moyens disponibles dans ces conditions de restrictions croissantes pour être en mesure de surmonter la crise et, à la fois, réduire la pauvreté.  

La réponse à la question « la Croatie, aura-t-elle du succès sans renoncer au modèle néolibéral dominant ? » est négative.  Croire qu’il est possible de réduire la pauvreté et l’inégalité en appliquant des recettes néolibérales est peu réaliste et insensé.

[1]    Banque nationale de Croatie, "Real GDP growth rate – Croatia." Disponible sur : <www.hnb.hr/publikac/epublikac.htm>.

[2]  Ibid.

[3]    Banque nationale de Croatie, "General information on Croatia – economic indicators." Disponible sur : <www.hnb.hr/statistika/e-ekonomski_indikatori.htm>.

[4]Banque mondiale, Croatia: Social Impact of the Crisis and Building Resilience, 10 juin 2010, 38–39. Disponible sur : <go.worldbank.org/SPXPLMBLM0>.

[5] Ibid.

[6] Ibid.


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