Plus d’argent et toujours la même injustice sociale

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Comité Social Watch au Pérou
Centro de Estudios para el Desarrollo y la Participación (CEDEP)
Héctor Béjar

Malgré une forte hausse du Produit Intérieur Brut (PIB) et une augmentation budgétaire du secteur public – le budget a été multiplié par deux en 20 ans – l’investissement social a chuté. A partir de 1990 l’influence des institutions financières internationales sur les politiques sociales ne s’est pas traduite  par une baisse significative de l’extrême pauvreté et de la famine mais elle a servi de prétexte à l’inaction du Gouvernement dans ce domaine. La réforme fiscale, pourtant si nécessaire, n’a pas été effectuée, le système de sécurité sociale universel, financé par les impôts, n’a pas non plus été mis en place. Les questions de l’égalité des sexes et de l’environnement n’ont pas été abordées lors de l’élaboration du budget.

Les dépenses de l’État ont été multipliées par deux ces 20 dernières années. Néanmoins, l’investissement public sur cette période a été insignifiant parce que l’État, prétextant le lobbying des organismes financiers internationaux, n’a pas fixé ses priorités en fonction des besoins des secteurs les plus vulnérables. Ces mêmes pressions ont généré des avantages (manque de réglementation du travail et fiscale) dans l’investissement privé, qui s’est développé durant cette période. Cependant, les pressions exercées par les organismes multilatéraux d’aide sur l’État péruvien en échange de ressources – c'est à dire, son engagement vers l’extérieur – ne devraient pas servir d’excuse au non-respect d’autres obligations – inhérentes de par leur propre nature – pour ce qui est d’apporter et de garantir le meilleur bien-être possible aux citoyens.

Il est indispensable d’opérer un changement de politique, une profonde réforme fiscale qui redistribue la richesse de façon beaucoup plus équitable, un système de sécurité sociale universel, une plus forte indépendance lors de la détermination des priorités des investissements publics et de l’utilisation de l’aide ainsi qu’une prise de conscience par l’ensemble des acteurs de l’importance d’inclure les questions environnementales et d’égalité des sexes lors de l’élaboration des budgets nationaux. Dans le cas contraire, l’État ne sera même pas en mesure de réduire la pauvreté réelle et, par conséquent, il ne pourra pas davantage remplir les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Le coût de l’État

Au Pérou, le manque de transparence est récurrent sur les questions liées au budget car dans la pratique, le budget est manipulé par des crédits supplémentaires délivrés par le Congrès ce qui donne à l’Exécutif une grande liberté d’action et ce, indépendamment de ce qui a été approuvé dans la loi budgétaire. En raison du grand désordre régnant dans la gestion budgétaire, qui rend impossible une évaluation efficace, les données officielles sont données à titre purement référentiel.

Par exemple, d’après des chiffres officiels, en 2009, le PIB du pays s’élevait à 411 milliards de PEN (un peu plus de USD 140 milliards) et le budget pour cette même année était de USD 24,662 milliards, ce qui signifie une augmentation considérable si on la compare à l’année 1990 (USD 10 milliards). Néanmoins, cette augmentation des dépenses,  présentée comme investissement social, cache la réalité des faits : l’État a pris en charge des dettes du système de sécurité sociale qui auraient dû être prises en charge par les Sociétés d’administration des fonds de pension (AFP), qui ont seulement récupéré les bénéfices (et pas le passif) du système antérieur. De plus, ceci permet à l’actuel Gouvernement du président Alan García de présenter un chiffre de dépenses sociales supérieur à celui réellement investi, par exemple, dans les hôpitaux et écoles.

Douze pour cent du budget – à savoir un peu plus de USD 3 milliards – a été affecté au règlement de la dette extérieure [1] et, d’après les informations transmises par le ministère de l’Économie et des finances (MEF), un chiffre similaire a servi à régler les pensions. Le Gouvernement l’a lui même reconnu, ces dernières années le remboursement de la dette a été supérieur à ce qui avait été budgété, et il a été effectué par des opérations de refinancement menées par le MEF, sans avis ni débat[2].

Les ressources

L’État péruvien a deux sources de financement : la collecte des impôts et les prêts placés sur le marché international et à l’intérieur du pays sous forme d’ «  obligations souveraines ». En 2009, pour un budget de USD 24,6 milliards, presque USD 21 milliards provenaient de plusieurs impôts, parmi lesquels figurent les impôts municipaux et les taxes – des contributions faites par les entreprises étrangères qui interviennent localement[3]. Le reste est obtenu par diverses opérations de crédit. C'est-à-dire que, même si d’un point de vue comptable le budget est équilibré, dans la pratique il présente un déficit permanent couvert par des prêts externes et internes.

La pression fiscale du pays est de 14  %, soit quatre points de moins que la moyenne latino-américaine. Parmi les principaux impôts, il y a ceux qui taxent le revenu, les importations, la production, la consommation et les combustibles. Les revenus des personnes physiques apportent plus de financement que ceux des personnes morales et ceux de la production et la consommation rapportent plus que les impôts sur les revenus. Le patrimoine n’est pas soumis à l’impôt. L’impôt sur le revenu couvre 20 % du budget du secteur public.

Le décret législatif 662 de Promotion de l’Investissement Étranger et le décret 757, Loi Cadre d’Investissement Privé – tous deux remontant à 1991 – garantissent aux entreprises :

Un régime fiscal spécial de l´Impôt sur le revenu.

La libre disponibilité des devises.

La libre remise des bénéfices, dividendes et autres recettes.

L’utilisation d’un taux de change plus favorable.

Le droit d’embaucher des travailleurs selon n’importe quelle modalité sans être affectés par aucune loi, y compris dans des conditions qui vont à l’encontre du cadre législatif.

Sous ce régime, 278 grandes entreprises ont réduit dans certains cas jusqu’à 80 % du revenu imposable. Chaque année, l’État perd au moins USD 375 milliards en raison des exonérations fiscales[4].

Capital perdu

 Le Pérou est un exportateur contraint de capitaux. Ce pays envoie chaque année à l’étranger en moyenne USD 2,5 milliards au titre de la dette externe et USD 3,2 milliards sous forme de remise de bénéfices.

Le 30 septembre 2009, la totalité de la dette publique péruvienne était de USD 31,3 millions, soit USD 20,3 millions  de dette externe et USD 11 milliards  de dette interne. Le Pérou a aussi des réserves immobilisées pour USD  35,4 milliards. Depuis l’an 2000, le Pérou a remis au Club de Paris, au Trésor des États-Unis et aux sièges des multinationales actives dans le pays quelque USD 50 milliards.[5]

Investissement et espionnage

L’investissement privé, d’après les données de la Banque centrale de réserve, atteint 16 % du PIB, l’investissement public quant à lui atteint à peine 2,8 % du PIB. Ajoutons à cela la lenteur extrême de l’exécution des dépenses publiques : par exemple, d’après la Red Jubileo de Perú, un réseau péruvien d’organisations non-gouvernementales spécialisées dans la dette publique, au mois d’octobre 2009 à peine 30 % des postes budgétaires avaient été éxécutés[6].

Investissement privé

Il y a à l’heure actuelle dans le pays 45 contrats d’exploration et 19 d’exploitation de gaz et de pétrole en exécution, ils génèrent des investissements pour environ USD 4 milliards. D’autre part, un appel d’offre a été lancé pour adjuger 19 nouveaux lots dont 12 se situent en Amazonie.

La déforestation et l’empoisonnement des eaux et de l’air sont des faits quotidiens contre lesquels se soulèvent les populations andines et amazoniennes. L’investissement privé dans le pétrole, le gaz et l’industrie minière a généré une forte corruption dans le secteur gouvernemental caractérisée par des écoutes illégales des communications téléphoniques et par Internet. Ces écoutes ont été pratiquées par certaines entreprises sur d’autres et sur l’État, par le versement de pots-de-vin à des juges et des fonctionnaires, par des journalistes achetés, des commandos d’espionnage privés, des forces de choc et l’exercice de pressions sur les opposants et la presse critique.

Investissement social

D’après le MEF, la part de la dépense sociale s’est élevée en 2009 à 6 % du PIB[7]. D’après les données de l’UNICEF pour ces dernières années, la part du PIB allouée à la dépense sociale publique est passée de 7,9 % sur le budget du secteur public en l’an 2000 à 9,2 % en 2005. Environ la moitié de la dépense publique est destinée, d’une manière ou d’une autre, aux secteurs sociaux. Néanmoins, ces chiffres présentés par les organismes internationaux prennent en considération les dépenses en retraites des fonctionnaires, dissimulant donc la réalité. La dépense sociale nette (dépense sociale non provisionnelle) est bien inférieure et elle atteint à peine 27 % du budget ; elle a diminué en termes relatifs car pendant la décennie 1990, elle atteignait 37 %.

Conditionnement budgétaire

Les organismes financiers internationaux conditionnent et gouvernent depuis de nombreuses années la politique sociale péruvienne. Le programme Juntos, créé en 2005, avait été proposé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale comme une des conditions pour renouveler en 2008 leur soutien financier au pays[8]. Cette année, la Banque mondiale a approuvé un prêt au Pérou de USD 330 milliards pour assurer le financement de la dépense sociale et des mesures contre-cycliques afin de faire face aux impacts de la crise financière. La Banque a indiqué qu’il s’agissait du second prêt programmé des réformes des secteurs sociaux visant à soutenir des services en matière d'éducation et de santé et les programmes sociaux, entre autres le programme Juntos.

Aujourd’hui, ces organismes sont favorables à ce qu’on appelle le budget par résultats. L’Article 13 de la Loi de Budget 2010 fixe le Budget par Résultats pour les points suivants :

  • Maladies non transmissibles, tuberculose, HIV, maladies métaxéniques et zoonose, qui seront placés sous la responsabilité du ministère de la Santé.
  • Résultats d’apprentissage dans l’enseignement primaire et l’éducation de base alternative, placés sous la responsabilité du ministère de l’Éducation.
  • Travail infantile, placé sous la responsabilité du ministère du Travail.
  • Violence familiale, violence sexuelle et sécurité alimentaire, placées sous la responsabilité du ministère de la Femme et du Développement social.
  • Développement durable environnemental, placé sous la responsabilité du ministère de l’Environnement.
  • Élargissement de l’assiette fiscale, placé sous la responsabilité de la Superintendance nationale de l’administration fiscale.

Inégalité

Même si le niveau de revenus des classes les plus pauvres de la société s’est amélioré, l’écart entre les revenus a augmenté. Alors que l’ouverture commerciale réduit les inégalités, l’ouverture financière – par les investissements étrangers directs – associée au progrès technologique, agirait en aggravant ces inégalités. En effet, la rémunération des plus qualifiés augmenterait sans que les opportunités d’avancement économique ne soient limitées. Pour le cas du Pérou, 35 % des revenus sont sur le décile supérieur alors qu’à peine 1,6 % sont sur le décile le plus bas[9].

Paradoxalement, le manque de budget spécifique a empêché l’application de la Loi sur l’Égalité des Chances et le genre[10], dont l’objectif est de poser un cadre normatif adapté qui garantisse, par le budget, la justice entre les femmes et les hommes.

Le problème environnemental

Au Pérou, les conséquences les plus importantes du réchauffement climatique seront : le recul des glaciers, l’augmentation en fréquence et en intensité du Phénomène El Niño et l’élévation du niveau de la mer.

D’après le Conseil national de l’environnement, au cours des 22 à 35 dernières années, 22 % de la surface des glaciers a été perdue (équivalant à 7 milliards de m3  ou à 10 ans de consommation d’eau dans la ville de Lima), avec des conséquences plus importantes sur les petits glaciers et les moins élevés. Dans ce sens, on pense qu’en 2025 les glaciers péruviens situés en-dessous de 5500 mètres d’altitude auront disparu.

Les spécialistes calculent que les dégâts sur l’environnement représentent un coût économique de 3,9 % du PIB ; ces dégâts touchent principalement les plus pauvres.

En 2006, une étude menée par la Banque mondiale a évalué le coût économique de la dégradation de l’environnement, de la réduction des ressources naturelles, des catastrophes naturelles et des services environnementaux inadaptés : elle arrive à un total de USD 2,8 milliards[11]. Néanmoins, entre 1999 et 2005, les dépenses dirigées pour l’environnement ont représenté à peine 0,01 % du PIB. Ce chiffre démontre qu’il n’y a pas de volonté politique pour arrêter ou même atténuer le rythme de dégradation existant.

[1] Loi du secteur public pour l’année fiscale 2009.

[2] Red Jubileo Perú, "Campaña por un Presupuesto con derechos 2009" ("Campagne pour un Budget avec des droits 2009"), document élaboré par l’économiste Armando Mendoza. Lima, 2009.

[3] D’après le rapport de la Sociedad Nacional de Minería, Petróleo y Energía, "Mundo Minero",, de mai 2007, pour l’exercice fiscal 2006, USD 1,2 milliards a été généré par la taxe minière (50 % de l’impôt sur le revenu).  La taxe minière et les droits sont ensuite redistribués par l’État entre les 22 départements et régions et 1753 municipalités.

[4] Superintendencia Nacional de Administración Tributaria (Super-intendance Nationale de l’Administration Fiscale). "Estimación de los efectos de los convenios de estabilidad tributaria" ("Estimation des effets des accords de stabilité fiscale"), septembre 2002.

[5] MEF, Portail de la Transparence Économique. Voir : <www.mef.gob.pe/DNEP/estadistica_cp.php> (consulté le 15 avril 2010).

[6] Armando Mendoza, Op. cit.

[7] Direction du Budget du MEF.

[8] Le Programme National de Soutien Direct aux Plus Pauvres – Juntos – a été créé en 2005. Il s’adresse tout particulièrement aux familles rurales pour lutter contre la dénutrition infantile chronique et l'extrême pauvreté, Une prime économique mensuelle de USD 34 leur est directement versée.

[9] FMI. World Economic Outlook. 17 octobre 2007.

[10] Congrès de