Une nouvelle façon de commettre les mêmes erreurs

Programa Venezolano de Educación-Acción en Derechos Humanos (PROVEA)
Rafael Uzcategui

Après une période de boom économique entre 2004 et 2008 –  à l´aide de la hausse des prix internationaux du pétrole - les politiques sociales du Gouvernement ont amélioré les indicateurs et les Objectifs du Millénaire pour le développement ont commencé à faire partie de l'ordre du jour officiel et du débat public. Aujourd'hui, la crise financière internationale et l’augmentation des conflits sociaux résultant de l'affaiblissement des programmes sociaux menacent les progrès réalisés. C’est ce que l’on pouvait attendre d'un modèle de développement qui, en répétant les anciennes erreurs, n’a  pas développé de politiques anticycliques et paie maintenant très cher les conséquences de la crise mondiale.

En 1999, après l'élection d’Hugo Chavez à la Présidence, un processus visant à modifier la Constitution à travers un projet national décidé par la majorité a été entrepris. En raison des larges garanties offertes en matière de droits sociaux, cette nouvelle Constitution a suscité de grandes attentes et a popularisé la question des droits de l' Homme dans les différents secteurs de la population.

Dans le même temps, la hausse soutenue des prix internationaux du pétrole - principal moteur de l'économie vénézuélienne – au cours de la période 2004-2008, a permis au Gouvernement d'obtenir des résultats positifs sur plusieurs indicateurs. Deux ans plus tard, cependant, la situation a commencé à s'inverser et cela pour deux raisons principales.

Tout d'abord, après la ratification pour un deuxième mandat présidentiel de Chavez, le Gouvernement a tenté de modifier la Constitution par référendum - en décembre 2007 - bien que la proposition ait été rejetée. Depuis lors, différentes organisations des droits humains ont donné l’alerte sur l'adoption de diverses lois, règlements et actes administratifs qui sont contraires à la Constitution adoptée en 1999.

Ensuite, la baisse des prix du pétrole et la crise financière internationale ont eu un impact négatif sur les politiques sociales visant à réduire la pauvreté, sans qu’il existe de réponse du Gouvernement aux revendications populaires, augmentant ainsi considérablement  les conflits sociaux.

 

Baisse de la pauvreté

Jusqu'en 2008, le Gouvernement Chávez  se vantait des progrès réalisés pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), avec en premier lieu les résultats ayant trait à l'éradication de l'extrême pauvreté [1].

Entre 2004 et 2006, les chiffres officiels ont estimé à 20% la diminution du nombre de familles pauvres dans le pays. Pour le premier semestre de 2007, les estimations de l'Institut national de statistiques ont montré que le pourcentage de la population vivant dans l'extrême pauvreté était de 9,4 % [2]. En termes de population, les chiffres officiels indiquent qu’entre 1999 et 2009, 4.324.075 personnes ont réussi à sortir de la pauvreté.

Ces progrès ont été reconnus par des organismes internationaux comme la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, pour laquelle le taux de pauvreté au Venezuela avait chuté de 49,4 % en 1999 à 28,5 % en 2007 [3] . Dans son rapport annuel de 2009, Provea indique que cette baisse est en partie due aux efforts réalisés dans le domaine du développement de plans sociaux pour la distribution d’aliments à bas prix, tels que la Mission Mercal, dont la couverture mensuelle estimée pour 2008 atteignait une moyenne de 13 millions de personnes, environ 45 % de la population du pays [4].

En termes d’égalité entre les sexes et d’éducation, une augmentation du pourcentage d'élèves pris en charge par le système éducatif a été enregistrée, passant de 31,25 % pour la période 1990 -1998 à 47,56 % entre 1999 et 2006. En ce sens, le taux net de scolarisation dans l'enseignement de base est passé de 84,7 % en 1999 - 2000 à 93,6 % entre 2006 et 2007, ce qui équivaut à l'incorporation dans le système éducatif de 684.782 élèves. Des résultats similaires se retrouvent dans les niveaux supérieurs de l’enseignement. En 2005, le nombre de personnes inscrites dans les missions éducatives atteignait quatre millions.

En outre, la politique de santé, appelée Barrio Adentro (Au sein du quartier), a permis d’avancer vers l'objectif visé de réduire des deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans. Ainsi, la mortalité infantile est passée de 25 en 1990 à 14,2 pour mille naissances en 2007. Ces missions ont permis d’augmenter en très peu de temps les soins médicaux directs, avec la participation de 14.345 professionnels et la construction de modules de soins de santé dans tout le pays. Concernant les soins pour les personnes vivant avec VIH/ sida, les registres ont montré une augmentation de la distribution gratuite de médicaments, passant de 335 patients traités en 1999 à 21.779 en 2007.

Bénéfices financés par les hydrocarbures

A partir de 2004, l’économie du Venezuela a connu une situation d’abondance tout à fait inconnue lors des trois décennies précédentes. Depuis lors, les prix du pétrole ont atteint des sommets historiques sur les marchés internationaux jusqu'en 2008, date à laquelle ils ont atteint des records. En conséquence de ce boom le Produit intérieur brut (PIB) au Venezuela a vécu quatre années consécutives de croissance, les réserves internationales du pays se sont consolidées et la balance des paiements est devenue excédentaire. La hausse des recettes fiscales d’origine pétrolière a permis de financer d'importants programmes d'investissement public et des politiques sociales appelées missions. L'État a pu se développer dans différents domaines, tels que la création d'emplois. On estime qu’en 2008, le secteur public employait 18,2 % de la population économiquement active [5].

En Juillet 2008, le prix du baril de pétrole vénézuélien est parvenu à son zénith atteignant USD 122,40. A partir de cette date, il a commencé à chuter et quatre mois plus tard, il valait la moitié de cette somme, soit USD 63,49 [6].

Ajustement et politiques sociales

L’organisation des élections de gouverneurs et de maires en novembre 2008 et l’adoption d’un amendement constitutionnel en février 2009, ont reporté la discussion sur les possibles conséquences de la crise économique mondiale au Venezuela. Après la période électorale, le 21 mars 2009, le président Chávez a annoncé un train de mesures économiques :

  • Réduction des dépenses publiques.
  • Augmentation de l’impôt sur la valeur ajoutée.
  • Réduction des dépenses somptuaires et inutiles.
  • Promulgation d'une loi qui limiterait les salaires perçus par les hauts fonctionnaires de l'administration publique.

 

La contraction des revenus du pétrole a entraîné le ralentissement, la stagnation et, dans certains cas, le déclin des politiques sociales visant à réduire la pauvreté et les inégalités. Au-delà des annonces officielles concernant le maintien des politiques sociales en dépit de la crise, l'augmentation de 20 % du salaire minimum est inférieure au taux d'inflation qui,  seulement dans le secteur alimentaire, a atteint 43 % en 2008[7].

Contrairement à la baisse importante enregistrée entre 2004 et 2006, la réduction des foyers vivant dans la pauvreté entre 2007 et 2009 n’a pas dépassé 1,1 %. Les derniers chiffres officiels indiquent que 26,4 % des foyers vénézuéliens demeurent incapables de satisfaire leurs besoins fondamentaux.

En outre, à l'exception du secteur de l'éducation, les dépenses publiques en pourcentage du PIB ont diminué depuis 2008 pour tous les secteurs de la société. Selon la Loi du budget de 2010, le montant alloué aux 13
« missions sociales » n’atteint pas 4 % du total, bien que les ressources soient plus élevées en raison de postes budgétaires affectés par voies extraordinaires, ce qui entrave la transparence et le contrôle social de leur mise en œuvre. Pour rendre cette situation encore plus complexe, l'inflation réduit la capacité des plus pauvres à améliorer leur condition de vie. Selon la Banque centrale du Venezuela, l'inflation correspondant à l’année 2008 était de 30,9 %, tandis que celle de 2009 était de 25,1 %, mais même ainsi, le pays affiche un des taux d’inflation les plus élevés de la région [8].

De graves conséquences

La crise de la politique sociale est particulièrement aiguë dans deux domaines : la santé et le logement. Depuis des années, Provea met les autorités en garde contre la fragmentation du système de santé du pays et  la détérioration de la Misión Barrio Adentro. Bien que ces préoccupations aient été écartées par différents porte - parole du Gouvernement, en septembre 2009, le président Chavez a reconnu l’existence d’irrégularités : « Nous déclarons l’état d’urgence dans le domaine de la santé. Nous avons détecté 2000 modules de Barrio Adentro abandonnés, sans médecins. Une négligence de nous tous. Le phénomène s’est développé et des mesures ont été prises, mais nous n'avons pas pu résoudre le problème »[9].

Cette situation est aggravée par des problèmes de structures et d’équipements existant dans le réseau hospitalier du pays et par le manque de professionnels médicaux, ce qui a eu de différentes conséquences dramatiques telles que le phénomène dénommé
« ruleteo » (promenade en taxi) des femmes enceintes, qui avant d’accoucher doivent se rendre dans plusieurs centres de santé pour localiser celui qui pourra les prendre en charge.

La question du logement digne est l'une des plus grandes faiblesses du Gouvernement de Chavez, qui n'a jamais été en mesure pendant sa gestion, d’atteindre ses propres objectifs. La pénurie de logements atteint trois millions de foyers, un calcul qui inclut les maisons devant être déplacées parce qu'elles se trouvent dans des zones à haut risque. Au cours des 10 dernières années, selon les données officielles, un total de 300.939 logements a été construit, ce qui place Hugo Chavez au deuxième rang des présidents démocratiques qui, depuis 1958, ont fait construire le moins de maisons au cours de son mandat.

Le rôle de la société civile

Diverses organisations qui observent la situation des droits de l'Homme ont mis les autorités en garde contre le manque de planification, à moyen et long terme, permettant aux politiques sociales d’être durables indépendamment des périodes de revenus pétroliers élevés. À leur tour, d'autres chercheurs ont démontré que la vulnérabilité de l'économie vénézuélienne face aux fluctuations du prix du pétrole sur le marché international est restée intacte au fil du temps. Par conséquent, le modèle de développement promu par le président Chavez, la consolidation du secteur de l'économie exportateur de produits primaires, possède essentiellement les mêmes caractéristiques que les projets promus dans le passé [10].

L'année 2008 a été l’année du plus grand nombre de mobilisations populaires de la décennie avec 2.893 manifestations, soit une augmentation de 64,09 % par rapport à l'année précédente. Sur ce total, 67,30 % étaient motivées par la revendication de droits économiques, sociaux et culturels, trois des principales revendications étant les conditions de travail (33,97 %), le logement (20,34 %) et la sécurité personnelle (12,34  %). Par ordre d'importance les principaux mécanismes de protestation ont été les barrages de rues, les rassemblements, les manifestations et l’occupation des lieux de travail. Dans cette période une manifestation sur quinze a été réprimée, entravée ou interdite par les organismes de sécurité de l'État.

En outre, sept manifestants ont été tués, cinq parmi eux  abattus par la police ou par des militaires. Face à la perte de patience des autorités en ce qui concerne la mobilisation populaire, le processus de criminalisation de la protestation s’est accru. Depuis 2005 au moins 2.240 cas ont été enregistrés de personnes qui ont dû se présenter en justice pour avoir participé à une action revendicative. Un cas emblématique est celui du dirigeant syndical Ruben Gonzalez, qui, depuis septembre 2009, est privé de liberté pour avoir participé à une occupation paralysant les activités de la compagnie Ferrominera,  propriété de l'État, située dans l'état de Bolivar, pour exiger l'exécution d'une convention collective[11].

Conclusion

Le modèle de développement promu par le Gouvernement Chavez n’a pas réussi à échapper à la dépendance historique dont fait preuve l'économie vénézuélienne envers les prix internationaux du pétrole. Les programmes sociaux ont souffert des caprices de cette variable dont la dimension échappe totalement aux intentions et aux politiques de l'État.

Cette situation a déterminé que les indicateurs sociaux montrent une évolution positive pendant les périodes de boom commercial et stagnent ou même reculent, lorsque ces tendances sont inversées, ce que les organisations de la société civile et divers spécialistes dénoncent depuis un certain temps.

Ainsi, pour les Vénézuéliens, la lutte contre la pauvreté, pour l’accès aux soins de santé, à l'éducation et surtout au logement adéquat a fortement dépendu des courbes internationales de l'offre et de la demande de pétrole brut, d'une part, et d’autre part du manque de prévision et du manque de politiques anticycliques appropriées.

[1] Pour un suivi complet des résultats dans les Objectifs du Millénaire pour le développement par le Gouvernement vénézuélien, voir sur : <www.sisov.mpd.gob.ve/metas_milenio/>.

[2]Ministerio del Poder Popular para la Comunicación e Información (Ministère du pouvoir populaire pour la communication et l'information), le Venezuela se distingue pour la mise en oeuvre des critères visant à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (2008).

[3] Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Panorama Social de América Latina - 2008. Disponible sur : <www.eclac.cl/publicaciones/xml/2/34732/PSE2008_Cap1_Pobreza.pdf>.

[4] Provea, Informe anual 2009. Disponible sur : <www.derechos.org.ve/titulares/informe-anual-2009-1607>.

[5] Institut national de statistiques. Voir : <www.ine.gov.ve/ine/indexine.asp>.

[6]  Ibid.

[7] Ibid.

[8] Banque Centrale du Venezuela. Voir : <www.bcv.org.ve/>.

[9]« Chávez admet la fermeture de modules de Barrio Adentro et il déclare l’état d’urgence dans le domaine de la santé », La Cl@se.info. Disponible sur : <laclase.info/nacionales/chavez-admite-cierre-de-modulos-de-barrio-adentro-y-declara-en-emergencia-la-salud>.

[10] Margarita López Maya et Luis Lander. « El socialismo rentista de Venezuela ante la caída de los precios petroleros internacionales ». Cuadernos del Cendes, 67 mai-août 2009.

[11] Voir : <www.derechos.org.ve>.


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