Politique fiscale et inégalité sous le microscope

Sources: Agenda Global, Tax Justice Network Amérique latine, Latindad

L’augmentation de la recette fiscale en Amérique Latine au cours de la dernière décennie, sous l’influence de la relative stabilité et de la croissance macroéconomiques attribuables à la demande des pays émergents et à l’enchérissement des matières premières, n’a pas encore réussi à surmonter le défi de la soutenabilité fiscale, à cause des obstacles tels que la dépendance du contexte international, le paiement du service de la dette, la gestion inefficace des politiques gouvernementales, l’informalité et l’évasion.

En même temps, les systèmes tributaires de la région font pression de manière disproportionnée sur les plus pauvres et les plus vulnérables. Ces inquiétudes feront l’objet de délibérations de la part de fonctionnaires du gouvernement, d’experts et d’activistes, qui se sont tenues à Lima cette semaine, convoqués par le Réseau latino-américain sur la Dette, le Développement et les Droits (Latinidad).   

Parmi les questions motivant la convocation au débat cette semaine [à laquelle ont participé aussi des organisations telles que l’Institut centraméricain d’études fiscales (Icefi), Poder Ciudadano (Pouvoir citoyen) (chapitre argentin de Transparence internationale), Christian Aid (Aide chrétienne), Tax Justice Network et le Grupo Hemisférico de Finanzas y Comercio (Groupe hémisphérique des Finances et de Commerce)], figurent aussi les bénéfices tributaires accordés aux grands investissements au moyen d’accords commerciaux et bilatéraux d’investissement ainsi que l’existence toujours présente de réseaux de corruption constitués d’entrepreneurs, de fonctionnaires et de conseillers qui servent de paradis fiscaux cherchant à cacher les bénéfices dérivés d’activités illicites, évader la justice et cesser de faire les apports nécessaires à l’État.      

La réunion appelée « Politique fiscale, croissance et inégalité » représente, en outre, une activité favorable à la consolidation d’un processus de participation et d’articulation active du grand public en matière fiscale et tributaire. La convocation indique également que le but principal est d’ouvrir un espace de dialogue entre les gouvernements de l’Amérique latine et les organisations de la société civile afin d’approfondir le débat et de promouvoir des propositions de réformes tributaires progressives, qui permettent de combattre l’évasion fiscale afin de construire des sociétés plus équitables, transparentes et démocratiques.

L’événement s’est déroulé autour de trois volets thématiques qui ont traité de la politique fiscale dans le cadre de la crise, les soucis principaux en matière fiscale et tributaire, à savoir, le rapport entre les finances et le commerce avec l’imposition, les paradis fiscaux et la compétence fiscale et l’articulation du dialogue entre les gouvernements et la société civile.    

 « S’il est vrai que plusieurs gouvernements ont déjà commencé à modifier leurs règles tributaires, l’Amérique latine continue d’être la région qui présente le plus d’inégalités de la planète ». Voilà ce que Carlos Bedoya, avocat et journaliste péruvien et María José Romero, politologue, de Latinidad tous les deux, ont écrit dans une analyse publiée par Agenda Global à propos des débats à Lima. « En moyenne, le vingt pourcent le plus riche de la population concentre 56,9 pourcent des revenus alors que le vingt pourcent le plus pauvre reçoit à peine 3,5 pourcent. Le Mexique, le Brésil et l’Argentine sont les pays présentant le plus d’inégalité. Pour cette raison, la politique fiscale prend une réelle importance à l’heure de parler de réduction d’inégalité ».

 « Progressivité est le mot clé, car il signifie que ceux qui génèrent le plus de revenus sont ceux qui payent le plus d’impôts et que les impôts sur la consommation pèsent moins que les impôts sur les revenus et le patrimoine. Mais aussi la capacité de l’État de négociation face à l’investissement privé, en particulier étranger, pour percevoir ce qui est juste et, d’autre part, la transparence avec laquelle les entreprises agissent », ont observé Bedoya et Romero. « La cerise sur le gâteau sera l’utilisation efficace des ressources obtenues afin de garantir une société plus équitable et démocratique ».   

Le communiqué émis par l’organisation de la réunion à Lima indique que « les impôts sont l’un des principaux piliers pour le financement de l’État et des politiques publiques tendant à améliorer la qualité de vie des personnes, à condition que la charge fiscale et la dépense publique soient distribuées de manière juste et équitable, de manière à honorer les droits économiques, sociaux et culturels ». Mais, « historiquement, les systèmes tributaires de la région se sont caractérisés par une faible charge d’impôts et se sont basés notamment sur des impôts sur la consommation hautement régressifs, qui font pression de manière disproportionnée sur les secteurs les plus pauvres et les plus vulnérables de la société, alors que les secteurs les plus aisés disposent de moyens pour évader ou ne pas payer d’impôt par le biais de flux de capitaux illicites ou de généreuses exemptions fiscales.»

Le débat sur la politique tributaire a figuré dans l’agenda des gouvernements latino-américains mais l’évaluation des retombées sociales et économiques n’a pas toujours été analysée en profondeur, ont ajouté les convocateurs. Son point central a été l’augmentation de la recette fiscale mais en même temps, les autres questions sont toujours ouvertes, à savoir, l’interaction de la politique tributaire avec les politiques macroéconomiques, ses effets sur l’épargne et sur l’investissement et son impact sur la distribution des revenus.

Dans leur rapport, Bedoya et Romero, ont rappelé que, selon un rapport publié l’année dernière par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), « l’évolution de la charge tributaire (y compris l’assurance sociale) entre 1990 et 2008 montre que la pression moyenne dans la région s’est accrue visiblement passant de 12,8 pourcent en 1990 à 18,4 pourcent en 2008 ». C’est-à-dire, sur cent dollars générés en Amérique latine, uniquement 18,4 sont destinés au Trésor public». En revanche, la charge tributaire des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE), qui réunit, parmi une trentaine de membres, tous ceux du Nord riche, a représenté en 2007 presque le double en tant que pourcentage du produit intérieur brut (PIB)   

 « Pire encore, un tiers seulement de la recette correspond à des impôts directs, c’est-à-dire, les revenus et le patrimoine. Selon la CEPAL, ‘il n’est pas surprenant que la distribution du revenu, après paiement d’impôts, soit plus inéquitable encore que la distribution primaire’. Soit, la politique fiscale est en train de générer plutôt de l’inégalité », ont constaté les experts de Latinidad dans leur rapport pour Agenda Global.

Bedoya et Romero ont inclus dans leur analyse, le traitement préférentiel accordé par les pays de la région aux revenus de capital, « tout cela couvert d’une série de mécanismes légaux tels que les Traités de Protection des investissements, des  Accords de Stabilité juridique et les Traités de Libre Échange, qui ont des cadenas très forts et à la moindre tentative d’avoir des règles plus justes, des mécanismes tels que des décisions du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements sont activés ».

 

Parmi les participants à la réunion à Lima, il faut souligner la présence des représentants du Ministère de Coordination de la Politique économique et de la Direction nationale de Planification de l’Équateur, le Vice-ministre de l’Économie d’Argentine, le Système d’Administration tributaire du Guatemala, le Parlement du Mexique, le Secrétariat du Trésor du Brésil, le Système financier de la Bolivie et le Ministère de l’Économie d’El Salvador, qui ont débattu en présence de spécialistes de la région tels qu’Oscar Ugarteche (UNAM), Roberto Bissio (Institut du Tiers Monde), Aldo Caliari (Center of Concern) Martin Abeles (CEPAL), Jorge Gaggero (CEFIDAR), Martha Ruiz (Eurodad) et Evilasio Slavador (Université de Brasilia).

Plus d’information

Agenda de la réunion: http://bit.ly/mVB1UF