Grèce: gourmandise pour les banques

 Photo: odysseasgr/Flickr/CC

Les conditions imposées dans les plans de sauvetage européens, comme celui qui a été approuvé cette semaine pour la Grèce -qui incluent de sévères réductions de la dépense publique et l’aliénation de propriétés de l’État- semblent être le reflet de celles qui ont été imposées dans les décennies 1980 et 1990 aux pays en développement et qui les ont enfoncé dans un endettement encore plus profond, a déclaré Nick Dearden, directeur de la Jubilee Debt Campaign. Le but de ces politiques a été à l’époque le même qu’aujourd’hui : « déplacer la charge de la crise du système financier vers les pays endettés », a-t-il averti.  

Ce qui suit est la chronique de Dearden dédiée à ce sujet, publiée cette semaine sur le blog politique britannique Left Foot Forward:

Un rideau de fumée pour cacher la « mère » de tous les sauvetages bancaires
Par Nick Dearden*

Alors que les ministres des Finances de l’Eurozone décidaient à Bruxelles l’avenir de la Grèce au début de cette semaine, une conférence, très opportune, qui s’est tenue à l’Université de Londres a réuni des économistes latino-américains de renom pour voir quel apprentissage peut tirer le Vieux Continent de son expérience en matière de dette et de sauvetage.

La leçon principale est d’une importance urgente pour l’Europe : les politiques économiques promues en Amérique latine dans la décennie 1980 ont été une excellente manière d’aider  
les banques des États-Unis à sortir de la crise. Cependant, ces politiques se sont avérées être une très mauvaise manière de résoudre la crise latino-américaine de la dette car elles ont engendré deux nouvelles décennies de dette, de pauvreté et d’inégalité.

C’était bien entendu étudié pour : déplacer la charge de la crise du système financier vers les pays en développement.

Dans les années 80, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont accordé des prêts à des dizaines de pays qui, autrement, auraient cessé de payer. Le but était de maintenir le flux de paiement de la dette destiné aux banques des pays riches, les mêmes pays qui avaient créé la crise au moyen de leurs propres stratégies de crédits irresponsables.

Postérieurement, les pays qui officiellement ont reçu les fonds, même s’ils n’ont obtenu aucun bénéfice de ces « sauvetages », se sont vus imposer des politiques d’ajustement structurel qui ont eu pour conséquence des privatisations d’entreprises, des finances libérées du contrôle gouvernemental et des marchés ouverts à la concurrence d’entreprises subsidiaires des États-Unis et de l’Europe. La pauvreté s’est accrue, l’inégalité a augmenté et le marché financier a été proclamé roi.

La même logique est à peine cachée derrière le « sauvetage » de la Grèce, qui vient d’être accordé par les ministres des finances européens. On ne fait même pas l’effort de simuler des fonds qui seraient destinés au bénéfice du peuple grec.

On reconnaît que les mesures d’austérité additionnelles que la Grèce doit mettre en place afin de recevoir ces fonds, que les syndicats grecs ont qualifié de ‘barbares’, le pays souffrira encore plus de stagnation et de chômage, ce qui rendra encore plus difficile le paiement de la dette. En 2020 les dettes de la Grèce représenteront encore 120 pourcent, chiffre insoutenable, du produit intérieur brut du pays…. et ce, si tout va bien, très bien.

La réduction des pensions de retraite, de 13 pourcent supplémentaire, et la réduction du salaire minimum, de 22 pourcent, à quoi vient s’ajouter une grande réduction des dépenses du gouvernement, avec une perte concomitante de postes de travail du secteur public, ne peuvent qu’accentuer la dépression et la rendre plus longue et profonde. Voire les agences de notation qui évaluent le risque ont reconnu qu’il est inutile d’obliger les pays à être soumis à une stagnation permanente. 

Alors, ce « sauvetage », dans quel but ?  Pour maintenir le flux d’argent vers le système financier européen. Il a été imposé à la Grèce de créer un compte bloqué afin que l’argent perçu soit destiné à payer les intérêts et le montant principal de sa dette, avant même qu’un seul euro ne soit déboursé pour payer les factures, les salaires des enseignants et les pensions. Cela signifie que l’argent prêté par les institutions européennes, argent des contribuables et qui provient, au bout du compte, des impôts, va aller directement vers les coffres des banques européennes. Ce n’est pas un sauvetage de la Grèce.
C’est un sauvetage de banques à une échelle gigantesque.

Cependant, la bonne nouvelle pour les banques n’en finit pas là. En obligeant la Grèce à accélérer son programme de privatisations jusqu’à ce qu’elle obtienne 50 millions d’euros, tout commence à y être vendu à prix cassé: des aéroports, des ports et des autoroutes aux systèmes d’eau et d’égouts.
Les acheteurs sont les banques des mêmes pays qui imposent ces politiques.

Ces ‘sauvetages’, les réductions de la dépense publique, l’atteinte à la propriété de l’État…. voilà tout ce qui a eu lieu dans les pays en développement dans les décennies 1980 et 1990, ce qui a eu pour conséquence deux décennies perdues.

Jusqu’à ce moment-là, il était rare qu’un pays connaisse un recul en ce qui concerne ses niveaux de revenu, mais au cours de la dernière décennie du XXème siècle, 54 pays ont réduit leurs revenus per capita et le nombre de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté a augmenté de 100 millions.
Ce n’est pas à cause d’une guerre ou d’un désastre naturel mais de la dette et de l’ajustement structurel.

Le bien-être humain a été sacrifié au nom des décisions du système financier. Les taux croissants d’homicide, de suicide et d’incidence du VIH en Grèce à l’heure actuelle peignent un panorama similaire.

Toutefois, Il  y a des alternatives. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a bénéficié d’une annulation massive de dettes et les paiements pour le reste de sa dette étaient liés  explicitement à la croissance du pays. Il n’y a pas de réponse à une crise de la dette qui soit exempte de douleur. Pourtant, lorsque les gouvernements ont fait face à l’attitude de toute-puissance de leurs créanciers en déclarant un moratoire, en entamant un audit de leurs dettes ou en insistant pour définir leurs propres termes de paiement (comme l’ont fait l’Argentine, l’Équateur ou l’Islande), ils ont eu visiblement de meilleurs résultats.

Il ne s’agit pas uniquement de reprendre le chemin de la croissance économique mais aussi de récupérer la souveraineté. Le ministre allemand des finances a même proposé d’envoyer  un « commissaire » européen pour surveiller les dépenses de chaque ministère grec. La démocratie de la Grèce, transformée en un protectorat de fait, se voit menacée : voilà la  conclusion logique d’une politique qui voit les gens comme un simple obstacle à l’encaissement des recettes de ses banques.

*Directeur de Jubilee Debt Campaign

Source
Left Foot Forward, en anglais: http://bit.ly/zpfjXY