Le progrès de la Chine cache l’augmentation de la pauvreté dans le reste du monde
Published on Thu, 2012-05-31 21:06
Le calcul de la Banque mondiale selon lequel l'extrême pauvreté s’est réduite de moitié dans le monde en développement entre 1981 et 2008 dissimule des détériorations dans de nombreuses régions, compensées dans la statistique par les progrès de la Chine, a déclaré Roberto Bissio, le coordinateur de Social Watch, dans un dialogue avec Radio Nederland. Ces études, qui considèrent dans l'extrême pauvreté ceux qui gagnent moins de 1,25 dollars par jour, ne prennent pas en compte l'impact des catastrophes récentes, telles que la hausse des prix des aliments et l’effet de la crise économique mondiale, a affirmé Bissio. D’après le rapport de la Banque, 52 % de la population mondiale vivait, en 1981, avec moins de 1,25 dollars par jour, un taux qui s’est réduit à 22 % en 2008. Mais Bissio a expliqué que, bien que « dans les 15 dernières années, la baisse a été de 600 millions de personnes, en Chine cette diminution a été de 700 millions », donc, en dehors du géant asiatique, il y a « 100 millions de personnes en plus dans l'extrême pauvreté, même selon la mesure de la Banque mondiale ». Par ailleurs, a ajouté le coordinateur de Social Watch, les calculs de l'institution financière basée à Washington fixent le revenu minimum de 1,25 dollars par jour, ajusté selon le « pouvoir d'achat » de la monnaie nationale. « Tous les touristes savent qu'un dollar n'achète pas le même dans un pays européen que dans un pays du Sud », et pour faire ses calculs, la Banque mondiale fait des ajustements « conformément à une moyenne de la consommation du pays qui n’est pas la consommation des pauvres » a indiqué Bissio. « Dans ce panier de consommation on trouve le prix d'une voiture, d’un DVD, de produits de consommation des classes moyennes et des classes supérieures. » Mais la consommation des très pauvre est principalement la nourriture. Ainsi, si le prix des voitures et des télés baisse, le « pouvoir d'achat » calculé par la Banque mondiale va augmenter, même si le riz ou le sorgho consommé par les pauvres est devenu prohibitif. Par ailleurs, « la Banque mondiale ne mesure la pauvreté qu’en termes de revenus, sans tenir compte de l'accès aux services et de leur qualité », il a affirmé. « La perception des membres de Social Watch dans plus de 85 pays est que la pauvreté, mesurée en termes de mortalité infantile, d'éducation, de nutrition et d’accouchements assistés par du personnel qualifié est en hausse, même si de nombreuses économies du Sud prospèrent, parce que l'inégalité augmente jour après jour ». Bissio a attribué les statistiques positives de certaines économies africaines et de la plupart des Latino-Américaines « à l'énorme augmentation des prix des matières premières » telles que « les métaux, le pétrole ou les produits agricoles ». En raison de ces augmentations, « le secteur des exportations a des profits élevés » et « des devises entrent dans les pays, ce qui est mesuré comme de la croissance économique » a-t-il ajouté. Mais ces mêmes augmentations « ont envolé le prix des aliments, qui constituent la consommation de base des pauvres » ; alors, « si l'on tenait compte de la consommation réelle des ménages » à faible revenu « il faudrait situer, probablement, ceux qui gagnent moins de deux dollars par jour dans la pauvreté extrême, et la conséquence serait, donc, une forte augmentation et non une réduction », a-t-il affirmé. « Le soja exporté par l'Amérique du Sud ou l’huile de palme exporté par de nombreux pays africains, par exemple, atteignent des prix extrêmement élevés », a-t-il expliqué. Pour cette raison, « les exportateurs accaparent de vastes étendues de terres, et les agriculteurs de subsistance et ceux qui fournissent la nourriture aux marchés locaux » se tournent « vers les produits d’exportation ». Ainsi, un pays d’une grande richesse agricole comme l'Argentine « exporte d'énormes quantités de soja à la Chine, et ces cultures ont déplacé ceux utilisés précédemment pour la consommation locale », donc « les prix intérieurs des aliments ont grimpé en flèche, tandis que les étendues de terre se multiplient en taille et leurs propriétaires font des fortunes ».
Croissance à risques La bonne performance des indicateurs macroéconomiques dans certains pays en développement ne montre aucune « croissance qui génère de l'emploi, qui motive réellement le développement », d’après Bissio. « Des pays qui, comme le Brésil, ont subi une forte croissance, on vu l'an dernier diminuer leur industrie », avec « de sérieuses conséquences sociales et sur l'emploi, ce qui est inquiétant ». « Beaucoup de gens pensent » que « les bons résultats macro-économiques » sont « une bulle prête à éclater, semblable à la bulle immobilière en Espagne et celle bancaire aux Etats-Unis », a-t-il averti. « Beaucoup d'argent va aux sacs des matières premières et pousse les prix à la hausse, mais ceci peut disparaître du jour au lendemain et provoquer une crise très grave, même dans les pays qui bénéficient, de façon circonstancielle, de revenus extraordinaires des exportations. » Consulté sur la réduction de moitié de la proportion de personnes pauvres d'ici 2015 par rapport à 1990 (le premier objectif des Objectifs du Millénaire pour le développement convenus par la communauté internationale en 2000), Bissio a répondu : « Selon nos calculs, faits sur les informations reçues des différents pays, ceci sera difficile à atteindre. Il peut y avoir une discussion technique quant aux statistiques sur l'effet de la Chine dans l’ensemble, mais ceci ne fait pas que dans la plupart des pays, et notamment dans les pays d'Afrique ou dans les pays les moins avancés, ceci soit respecté. » « Nous craignons que cela ne va pas se produire, ce qui doit être pris en compte dans les discussions actuelles sur quels devraient être les objectifs de développement après 2015 », a-t-il ajouté. Quant à l'aide des pays riches vers les pays en développement, « la crise provoque une rétraction ». Or, selon Bissio, pour avancer vers les Objectifs du Millénaire pour le développement « ce qui est fondamental n’est pas l’aide » mais la consolidation de « la capacité des pays à collecter leurs propres ressources par le biais, par exemple, des impôts, ce qui, en plus, est permanent, pas circonstanciel ». « Si les nations peuvent percevoir des impôts raisonnables sur les industries extractives ou sur le secteur des exportations agricoles, l’aide devient beaucoup moins nécessaire. Nous devons réfléchir à des moyens de sortir de l'aide pour construire un système où elle ne soit plus nécessaire », a-t-il souligné. Un autre problème qui ralenti le progrès des pays en développement est le manque de « cohérence des politiques de l'UE », a dit Bissio. « L'Europe interdit les pays africains, à travers les accords dénommés de partenariat économique, de prendre des mesures pour protéger leurs paysans, similaires à celles que l'Europe elle-même fournit à ses agriculteurs », ce qui empêche, en plus, d’avancer dans le Cycle de négociations de Doha pour le développement à l'Organisation mondiale du commerce.
Sources
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