Les Nations Unies abordent la question des droits humains des LGBTI

Photo : AWID

Radhika Chandiramani, la Directrice exécutive d’une ONG basée à New Delhi, qui se consacre aux questions liées à la sexualité et aux droits, parle de l’importance d’un rapport sur les droits humains des personnes LGBTI publié par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay.

En juin 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté la résolution 17/19, la toute première résolution des Nations Unies consacrée spécifiquement aux violations des droits humains fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

En novembre 2011, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme a publié un rapport révolutionnaire intitulé Lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Un an après l’adoption de la résolution 17/19, Gabriela de Cicco, de l’AWID, s’est entretenue avec Radhika Chandiramani sur l’importance de ce rapport sur les droits humains des personnes LGBTI. Radhika Chandiramani est la Directrice exécutive de TARSHI (Talking About Reproductive and Sexual Health Issues), une ONG basée à New Delhi, en Inde, qui se consacre aux questions liées à la sexualité et aux droits

Cet article fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi  », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes.

Les violations des droits humains fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, réelles ou présumées, sont un phénomène mondial. Au cours des dernières décennies, les organisations de personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes) ont renforcé leur travail visant à dénoncer ces violations de leurs droits aux échelons régional (par exemple auprès de l’Organisation des États américains dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes) et international (système des Nations Unies).

La réponse des États face à ces violations des droits humains est bien souvent insuffisante, voire inexistante, pouvant même dans certains cas se traduire par une totale impunité. En 2007, des experts de la société civile ont présenté les Principes de Yogyakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains aux questions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Les Principes affirment le caractère contraignant des normes internationales pour les États.

L’année dernière, l’Afrique du Sud, où le viol correctif des lesbiennes constitue l’une des formes les plus courantes de violence, a présenté la résolution 17/19 conjointement avec le Brésil et 39 autres États du monde entier qui se sont portés coauteurs. Cette résolution a été adoptée le 17 juin 2011, par 23 voix pour, 19 contre, et 3 abstentions. Lors de l’adoption de la résolution, le Conseil a demandé à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de faire établir une étude qui rende compte des lois et pratiques discriminatoires ainsi que des actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, et de la manière dont le droit international relatif aux droits humains peut être appliqué pour mettre fin à la violence et aux violations des droits humains fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

 

AWID : Pourquoi la publication de ce rapport est-elle si révolutionnaire ?

Radhika Chandiramani (RC) : L’essence même des droits humains est que tous les individus sont titulaires de ces droits par le simple fait d’être humains. Alors suivant cette logique, les personnes LGBTI ont les mêmes droits humains que n’importe qui d’autre. Néanmoins, des actes de violence sont commis partout dans le monde à l’encontre de personnes n’adhérant pas aux normes sexuelles et de genre. Les violations vont de l’intimidation psychologique à l’arrestation, la torture, le viol correctif et peuvent aller jusqu’à la mort. Pourquoi les personnes ne pourraient-elles pas être libres d’aimer qui bon leur semble et d’exprimer leur identité de genre de la manière leur paraissant la plus sincère ? Pourquoi ces personnes devraient-elles faire l’objet de discrimination en matière d’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’emploi et au logement ? Qui plus est, il existe des lois qui pénalisent les rapports sexuels entre personnes du même sexe dans 78 pays. Cinq de ces pays appliquent la peine de mort, à savoir l’Iran, la Mauritanie, l’Arabie Saoudite, le Soudan et le Yémen.

Les mécanismes de l’Organisation des Nations Unies recueillent des informations sur ces violations depuis près de vingt ans. Il était donc fondamental que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sollicite ce rapport afin de rendre compte des lois et pratiques discriminatoires ainsi que des actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, et de la manière dont le droit international relatif aux droits humains peut être appliqué pour mettre fin à la violence et aux violations des droits de l’homme fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, a étudié la situation sur la base de rapports antérieurs faits aux Nations Unies, de données et de rapports provenant d’organisations régionales, de certaines autorités nationales ainsi que d’ONG. L’importance de ce rapport est qu’il est le tout premier rapport des Nations Unies à aborder de manière détaillée les violations et la discrimination auxquelles sont confrontées les personnes LGBT dans le monde entier en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, réelles ou présumées. Il convient également de souligner que le rapport évoque la discrimination et la violence fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre présumées. Certaines parties du rapport font également référence aux personnes intersexes.

Dans ce rapport, la Haut-Commissaire appelle l’ensemble des États à protéger les droits humains des personnes LGBT et d’abroger les lois pénalisant les relations sexuelles entre personnes du même sexe. Toutes ces raisons en font un rapport extrêmement significatif.

 

AWID :Le cadre international des droits humains qui existe à l’heure actuelle suffit-il à aborder les violations des droits humains des personnes LGBTI ?

RC : Le cadre international des droits humains est exactement cela : un cadre visant à orienter le comportement des États. En lui-même, il ne pourra jamais être suffisant. Il doit être mis en œuvre et faire l’objet d’un suivi, et les États doivent être responsables de leurs manquements aux échelons national et international. Le processus d’Examen Périodique Universel représente également un bon moyen d’atteindre ces objectifs. Il consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des États et permet de faire pression sur eux afin qu’ils respectent les normes en manière de droits humains. Dans le cadre international des droits humains, les activistes peuvent également élaborer des rapports de la société civile qui révèlent la situation réelle et sur le terrain, et ne montrent pas uniquement le meilleur visage du pays, celui que les gouvernements veulent montrer au monde.

Le cadre international des droits humains qui existe actuellement appelle les États à abroger les lois qui pénalisent les relations sexuelles consensuelles entre adultes du même sexe. C’est un bon début, mais modifier les lois ne suffit pas. Ce n’est que le premier pas d’un processus qui sera long. Pour aborder la discrimination et les violations, il nous faut également œuvrer en faveur d’un changement social. Et nous devons nous y prendre avec beaucoup de prudence. Dans certains cas, la pression internationale peut avoir un effet boomerang car il arrive que des pays perçoivent cette pression comme une menace à leur souveraineté ou l’interprètent comme une tentative d’imposer un point de vue occidental. Il existe des cas où des pétitions et des campagnes de signature bien intentionnées mais peu judicieuses ont eu des conséquences fort éloignées du but recherché[4].

 

AWID : Quel est le rôle de la culture et des fondamentalismes dans les débats sur la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ?

RC : S’il est vrai que la culture peut varier d’un endroit à l’autre, ce n’est pas le cas des droits humains. Les droits humains ne constituent pas non plus un concept figé, mais au contraire en évolution, puisqu’ils mettent en lumière des questions particulières au fil de la transformation du cadre des droits humains en vue d’attirer l’attention sur des aspects n’ayant peut-être pas été considérés auparavant. La sensibilité culturelle ne saurait en aucun cas servir d’excuse.

Les groupes religieux dont les revendications sont fondées sur leur interprétation des textes religieux sont libres de le faire en raison du droit à la liberté de religion. Toutefois, les défenseur-e-s des droits humains ne sauraient traiter avec eux en termes de religion ou de moralité. Nous ne pouvons traiter avec eux qu’en termes de droits.

Les arguments liés à la religion et à la culture sont changeants et subjectifs, y avoir recours n’a donc aucun sens. Dans le cas de la section 377 du code pénal indien (une législation qui pénalisait autrefois les « rapports charnels contre nature »), l’argument de la culture et de la moralité publique a été avancé par le groupe qui prônait le maintien de la loi. Les avocats des groupes d’activistes ayant sollicité une interprétation atténuée de cette loi ont invoqué le principe du droit à la vie et à la liberté, à l’égalité et à la non discrimination. En juillet 2009, la haute cour de Delhi a défendu les principes de la Constitution et déclaré que la moralité constitutionnelle était au-dessus de la moralité publique. De même, le Secrétaire général des Nations Unies a affirmé dans l’allocution qu’il a prononcée à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme en 2010 : « En tant qu’hommes et femmes de conscience, nous rejetons la discrimination en général, et en particulier la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre […] Lorsqu’il existe une tension entre les attitudes culturelles et les droits de l’homme universels, les droits de l’homme doivent l’emporter... ».

 

AWID : De quelle manière les activistes peuvent- elles/ils utiliser ce rapport comme outil pratique pour le suivi et exiger aux États de garantir le respect des droits humains des personnes LGBTI ?

RC : Le rapport dresse une liste des obligations que les États ont en vertu de la législation internationale des droits humains en vue de prévenir la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Celle-ci est utile car les activistes peuvent y avoir recours pour exiger aux États de remplir leurs obligations.

Le rapport met en lumière divers types de discrimination et de violations, y compris le harcèlement et l’intimidation homophobes. Toutes les cultures font preuve de discrimination et de violence de manières différentes. Les activistes peuvent utiliser ce rapport pour identifier la manière dont des formes particulières de discrimination se manifestent dans leurs pays et rechercher des solutions. Le rapport comprend également une section consacrée aux initiatives d’acteurs étatiques et non étatiques pour prévenir et affronter les violations des droits.

Le manque d’attention portée aux violations est souvent dû au manque de documentation adéquate. Lorsque cette documentation est inexistante, les activistes peuvent mettre au point des systèmes en vue de documenter les cas de discrimination et de violence et de les rendre publics. Les activistes peuvent également contribuer aux processus aux conseils des droits humains à l’échelon national ainsi qu’au Conseil des droits humains des Nations Unies et d’autres instances internationales.

Source
AWID : http://bit.ly/KBn11p