La solidarité Nord-Sud réinventée par les migrants

Pour de nombreuses familles restées au pays, l’argent envoyé par les migrants travaillant dans le Nord représente une véritable bouée de sauvetage. Mais la solidarité Nord-Sud ne se traduit pas uniquement par les transferts de fonds. Certains migrants vont beaucoup plus loin, a écrit Thibaut Monnier dans son dan une article pour le magazine Dlm-demain le monde.

Voici l’article de Monnier:

« De véritables structures se créent pour aller plus loin que le « simple » transfert d’argent », explique Jean-Pierre Lahaye, coordinateur de la Cellule d’appui pour la solidarité internationale wallonne (CASIW). « Le plus souvent, elles se focalisent d’abord sur l’intégration dans le pays d’accueil. Mais une fois l’intégration réussie, le lien avec le pays d’origine revient en force.  » C’est ainsi que sont apparues ce qu’on appelle, dans le langage des initiés, les organisations de solidarité internationale issues de la migration (OSIM). Il en existerait plus de 300 en Belgique, regroupant les diasporas d’Afrique et d’Amérique latine essentiellement, mais également du Moyen-Orient.

Les OSIM fonctionnent pour la plupart grâce au bénévolat. Certaines, après s’être constituées en ASBL, vont plus loin en créant une coopérative dont les bénéfices sont affectés à des projets locaux dans le Sud. D’autres encore créent un fonds d’investissement servant à accorder du crédit aux populations du pays à qui les banques ont fermé la porte. « L’objectif des OSIM est de dépasser le stade de la consommation personnelle des transferts pour atteindre un niveau plus communautaire », précise J-P. Lahaye.

De Bruxelles à Dakar

En 2001, des Sénégalais établis en Belgique constatent que leurs compatriotes fraîchement arrivés dans notre pays occupent des emplois peu qualifiés ou mal rémunérés, sont victimes de discrimination à l’embauche et de précarité. Pour les sortir de ces situations pénibles, ils créent l’ASBL Cellule action d’aide au développement (CAAD) qui met à leur disposition de l’information et du conseil (accompagnement administratif et juridique, orientation sociale, formations, etc.).

Huit ans plus tard, ils lancent le projet MIDES (Mutualité des immigrés pour le développement économique et social au Sénégal) et créent, cette fois, une gamme de services pour celles et ceux qui veulent investir dans le développement du Sénégal. Objectifs : venir efficacement en aide aux familles restées au pays et s’assurer que l’argent envoyé ne sera pas gaspillé.

Comment ? En mutualisant leurs transferts, ils parviennent à négocier à la baisse la commission des opérateurs non bancaires. Ainsi, une partie de la commission que doit normalement toucher l’opérateur de transfert d’argent est versée à un fonds de développement. Grâce à celui-ci, les initiateurs de la MIDES comptent améliorer l’accès au crédit pour les porteurs de projets au Sénégal. « Pour développer le Sénégal, il faut y investir. Pour régler le problème de l’investissement, il faut régler le problème de l’accès au crédit. En cumulant les sommes prélevées sur tous les transferts, cela peut aller très vite », précise Papa Sene, initiateur de la MIDES.

Ce fonds, qui devrait être opérationnel à partir de 2013, devra également servir à développer des soins de santé, des centrales d’achat et un service de paiement par téléphonie mobile qui permettra d’économiser jusqu’à 25 % des coûts de transfert d’argent.

Développement durable au Maroc

La communauté marocaine de Belgique garde de fortes attaches avec sa région d’origine. En fait, 80 % des Marocains de Belgique sont des Berbères, tous issus de la même région du Nord-Est du pays. Mohamed Bouziani habite Anvers. Voici plus de dix ans, il a créé avec quelques amis l’ASBL Imane, dont l’objectif premier était de récolter des fonds pour les envoyer aux villages dont ils sont originaires.

Rapidement, il s’est rendu compte que cet argent créait une certaine forme de dépendance et ne réduisait en aucune manière l’exode de ses habitants en quête d’un avenir meilleur. Les responsables d’Imane ont alors décidé d’investir l’argent plutôt que de le « donner » aux villageois. L’ASBL a ainsi financé des travaux destinés à répondre à quelques-uns des besoins les plus importants, comme la création d’un centre de santé régional et une structure d’approvisionnement des villages en eau.

Très rapidement, l’ASBL Imane a fait le constat que le développement des infrastructures devait aller de pair avec des rentrées d’argent pour les habitants. Imane a alors créé sur place une coopérative dans laquelle est investi l’argent des Marocains émigrés. Les villageois y sont associés et deviennent membres de la coopérative en échange d’un petit montant. L’argent récolté a permis de développer l’apiculture. Le nombre de ruches en activité est passé de 20 à 800. La coopérative s’est ensuite lancée dans la production d’huile d’olive. Elle a reçu d’une ONG les oliviers et une presse à huile qu’elle met en location. Les revenus de cette location ont permis à la coopérative de racheter des terrains pour planter de nouveaux oliviers et ainsi générer un revenu pour les villageois.

Vers un outil d’entraide internationale ?

À l’heure actuelle, il n’existe en Belgique aucune structure fédératrice qui mettrait en lien les associations d’allochtones souhaitant développer des projets de solidarité. Un tel dispositif permettrait aux personnes belges – d’origine étrangère ou non – d’envoyer de l’argent pour une aide au développement liée à des zones géographiques précises.

Par ailleurs, si elles ne bénéficient pas de définition légale, les OSIM commencent à trouver écho au niveau politique. L’ONU, l’OCDE et la Commission européenne reconnaissent de plus en plus le rôle majeur que peuvent jouer les migrants dans le développement de leur pays d’origine. En Belgique aussi, l’intérêt grandit. La Flandre considère les associations de migrants comme de véritables acteurs du développement, aux côtés des acteurs traditionnels que sont l’Etat et les ONG. La Région wallonne soutient également de nombreuses OSIM, via la CASIW. Ainsi voit-on naître une nouvelle forme de système d’entraide financière Nord-Sud basée, non plus sur le subside public, mais sur l’initiative citoyenne.

En savoir plus

Dlm-demain le monde : http://bit.ly/ODJIDF

Source

CNCD 11.11.11. : http://bit.ly/Q1qlu3