Canada : Les oublis des premiers ministres

Hugh Mackenzie. (Photo: CCPA)

Lors de la rencontre des 13 premiers ministres provinciaux et chefs territoriaux canadiens à Saint-Jean, Terre-Neuve, les questions budgétaires domineront l'ordre du jour. Et ce ne sera pas joli, a écrit dan une article pour le journal Le Devoir Hugh Mackenzie, économiste indépendant et chercheur associé au Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), un des points focaux de Social Watch.  

Au cours des derniers mois, divers travaux préliminaires et études ont clairement fait ressortir les lignes de faille entre les provinces. Chaque chef provincial et territorial sait au dollar près quelle combinaison d'options est la plus avantageuse pour sa province. Ces calculs détermineront sa position sur la péréquation et ses revendications prioritaires à l'endroit du gouvernement fédéral entre la péréquation, les transferts égaux par habitant ou les transferts de points d'impôt.

Ce qui est étonnant dans toute cette discorde, c'est que les provinces sont unanimes sur une chose: leur détermination à ne pas tenir compte des faits qui ne font pas leur affaire et de leurs conséquences.

Ainsi, elles s'accordent pour attribuer l'entière responsabilité de leurs problèmes budgétaires au gouvernement fédéral, sans tenir compte du fait que la rivalité entre les provinces en matière de réductions d'impôt a diminué la capacité budgétaire provinciale d'un montant supérieur aux réductions des transferts fédéraux.

Elles s'entendent pour dire que les problèmes financiers des administrations locales ne font pas partie du programme budgétaire national, sans tenir compte du fait que, lorsque le gouvernement fédéral a réduit les paiements de transfert aux provinces à la fin des années 1990, les provinces ont en retour réduit leurs transferts aux administrations locales.

Depuis le milieu des années 1990, les recettes fiscales provinciales ont régressé de 1,7 % du PIB, sous l'effet des réductions de l'impôt des particuliers et des sociétés, commencées en Ontario et en Alberta avant de s'étendre à tout le pays. Entre 1996 et 2001, les recettes provinciales provenant de l'impôt des particuliers sont tombées de 66 % à 61 % des recettes fédérales alors que l'impôt provincial des sociétés passait de 60 % à 50 %.

En 1995, les transferts fédéraux aux gouvernements provinciaux s'établissaient à 4,1 % du PIB. En 2000, ces transferts n'étaient plus que de 3 % du PIB. Au cours de la même période, les transferts provinciaux aux administrations locales sont tombés de 3,9 % à 2,9 % du PIB.

Autrement dit, le déséquilibre fiscal — considéré comme un déséquilibre entre la capacité budgétaire des provinces et leurs responsabilités — est dans une large mesure un problème que les provinces se sont imposé en rivalisant sur le plan des réductions d'impôt. Qui plus est, les provinces ont en fait transmis aux administrations locales les réductions des transferts fédéraux. Mais personne ne veut en parler.

Reconnaître le problème

En l'absence de changements qui permettront aux gouvernements provinciaux de protéger leur capacité budgétaire, leur rivalité sur le plan des réductions d'impôt continuera d'exacerber le déséquilibre fiscal, peu importe ce que le gouvernement fédéral fera.

En effet, quelques-unes des propositions de réforme à l'étude, comme le transfert de points d'impôt du gouvernement fédéral aux provinces, ne feraient qu'aggraver la situation puisque les gouvernements provinciaux dépendraient encore davantage des assiettes fiscales les plus vulnérables aux attaques venant de la concurrence en matière de réductions d'impôt.

Au Québec, on croit généralement que le gouvernement fédéral devrait se retirer des dossiers de compétence provinciale et accroître les paiements de transfert parce que ses recettes sont trop élevées par rapport à ses responsabilités constitutionnelles.

Toutefois, bien que les réductions unilatérales des transferts fédéraux aient été abusives et qu'il faille les rétablir, et bien qu'il ait été irréfléchi d'affecter la part du lion du surplus fédéral au remboursement de la dette et aux réductions d'impôt plutôt qu'au réinvestissement social, l'ère des surplus fédéraux tire à sa fin.

Le gouvernement conservateur s'emploie à «régler» le déséquilibre fiscal par une nouvelle série de réductions d'impôt et une augmentation massive des dépenses militaires axées sur la sécurité. Cependant, la pression exercée sur les Trésors provinciaux demeure.

Ce ne sont pas des questions faciles. L'Union européenne se démène depuis des années pour élaborer des conventions fiscales visant à limiter la concurrence fiscale entre les États membres. Pour trouver des solutions, les gouvernements doivent d'abord reconnaître le problème.

Il en va de même des problèmes financiers auxquels les villes font face. La situation financière de nos administrations urbaines était déjà précaire avant que les gouvernements provinciaux ne leur transmettent les réductions des paiements de transfert de la fin des années 1990. S'il est pleinement mis en oeuvre et rendu permanent, le transfert fédéral lié aux recettes tirées de la taxe sur l'essence du «nouveau pacte pour les villes» s'élèvera à quelque deux milliards de dollars par an.

Mais la réduction des transferts provinciaux aux administrations locales à la fin des années 1990, qui n'a pas été recouvrée, atteint 12 milliards de dollars.

L'infrastructure publique locale continue donc de se détériorer en dépit de l'importance croissante des villes dans notre économie. Or, nos grandes villes ne peuvent même pas être représentées à la table.

La conférence de Saint-Jean donnera sans doute un bon spectacle. Hélas, les enjeux les plus importants du déséquilibre fiscal au Canada ne font pas partie du scénario.

Source
Le Devoir : http://bit.ly/TgWE7o


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