L’éradication de la pauvreté : de devoir moral à obligation juridique

Le Conseil des droits de
l’homme de l'ONU.

Le Conseil des droits de l’homme de l'ONU débattra ce mois-ci une série de « principes directeurs » qui obligerait les pays à faire attention aux conséquences des traités économiques internationaux et des politiques fiscales sur la pauvreté et les droits de l'homme. Si la proposition de Magdalena Sepúlveda, l'une des rapporteurs spéciaux au Conseil , « l’éradication de l'extrême pauvreté ne sera plus seulement un devoir moral mais aussi une obligation juridique », a déclaré Roberto Bissio, directeur de l'Institut du tiers monde (ITeM).

« Sepúlveda croit qu'il y aura consensus et que le Conseil approuvera en septembre ce concis document de 25 pages où elle résume huit principes et quatre conditions requises pour assurer 14 droits spécifiques des personnes vivant dans la pauvreté », a écrit Bissio dans son dernier article pour Agenda Global.

En sa qualité de Rapporteuse spéciale de l'ONU (Organisation des Nations Unies) sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, Sepúlveda agit indépendamment de tout gouvernement ou organisation depuis sa nomination en mai 2008. La session ordinaire du Conseil des droits de l’homme de l'ONU se tiendra à Genève du 10 au 28 septembre.

Voici le texte de l’article de Bissio :

La pauvreté comme violation des droits de l’homme
Roberto Bissio (*)

Avant de signer des traités internationaux sur le commerce ou l'investissement ou de concevoir des politiques fiscales, les gouvernements doivent veiller à la cohérence de ces politiques avec leurs obligations des droits de l’homme et éviter des mesures « à engendrer, pérenniser ou accroître la pauvreté, dans le pays ou en dehors ». Ceci est nécessaire pour concilier le droit international des droits de l’homme avec la réalité de la pauvreté dans laquelle la plupart de la population du monde vit.

Bien que ce point-ci et d'autres points, comme la réaffirmation du droit à l'eau, sont potentiellement controversés, l’avocate chilienne Magdalena Sepúlveda Carmona, Rapporteuse spéciale sur l'extrême pauvreté des Nations Unies, a mis le mot « version finale » sur le projet qu’elle vient d'envoyer aux gouvernements pour établir « des principes directeurs sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme ». Sepúlveda croit qu'il y aura consensus et que le Conseil des droits de l’homme approuvera en septembre ce concis document de 25 pages où elle résume huit principes et quatre conditions requises pour assurer 14 droits spécifiques des personnes vivant dans la pauvreté.

Le document se veut un guide pour les politiques publiques, et, par conséquent, s'adresse aux gouvernements nationaux qui décident d'elles, mais il contient aussi des sections sur les obligations des grandes sociétés transnationales.

C’est la culmination d'un long processus, commencé en 2001, lorsque la Commission (aujourd'hui Conseil) des droits de l'homme a chargé la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme de définir la façon d’appliquer les normes des droits à la lutte contre la pauvreté, considérées une priorité universelle par l’Organisation des Nations Unies.

La Banque mondiale a une définition monétaire de la pauvreté et a établi la frontière aux revenus inférieurs à un dollar par jour (maintenant ajustés à un dollar et un quart). Selon l'approche des droits de l’homme, la pauvreté, par contre, est une « condition dans laquelle se trouv[ait] un être humain qui [était] privé de manière durable ou chronique des ressources, des moyens, des choix, de la sécurité et du pouvoir ».

La pauvreté, dit le préambule des « principes » auxquels Sepúlveda a donné une forme définitive, est « à la fois une des causes et une des conséquences de violations des droits de l’homme ». Les pauvres « subissent de nombreux préjudices qui sont étroitement liés et produisent des effets synergiques, notamment : conditions de travail dangereuses, logement insalubre, manque d’aliments nutritifs, accès inégal à la justice, absence de pouvoir politique et accès limité aux soins de santé, et qui les empêchent de réaliser leurs droits et perpétuent leur pauvreté ».

De là que le premier principe postulé est la dignité humaine, à côté de « caractère indivisible, indissociable et interdépendant de tous les droits ». Les autres principes sont l'égalité contre toute discrimination, qui comprend « le droit d’être protégées contre la stigmatisation associée » au phénomène de la pauvreté, l'égalité entre les hommes et les femmes, les droits des enfants, la capacité d'agir et l'autonomie des personnes vivant dans la pauvreté, la participation et l’autonomisation, la transparence et l'accès à l'information et la reddition de comptes.

Sur la base de ces principes, les États doivent adopter des stratégies nationales de réduction de la pauvreté et réaliser l'intégration sociale, avec des points de repère, des délais clairs et des plans d'action bien définis. Les politiques publiques doivent donner la « priorité voulue » aux pauvres et les « équipements, biens et services nécessaires à la jouissance des droits de l’homme » doivent être « accessibles, disponibles, adaptables, abordables et de bonne qualité ».

Bien que tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels s'appliquent aux pauvres, le document fournit une liste de « certains droits particuliers dont la jouissance par les personnes vivant dans la pauvreté est particulièrement limitée et entravée, et au regard desquels les politiques publiques sont souvent insuffisantes ou contreproductives ». On trouve notamment le droit à l'eau et à l'assainissement, la nourriture, la santé et l'éducation, le logement, l'emploi et la sécurité sociale, entre autres essentiels à la dignité, tel que le droit à des documents d'identité.

Les États ont l'obligation mentionnée ci-dessus d'être cohérents, de demander l'aide internationale si leurs efforts ne sont pas suffisants et d’assister s'ils sont en mesure de le faire, en rendant compte de leurs interventions.

« Dans un monde caractérisé par un niveau sans précédent de développement économique, de moyens technologiques et de ressources financières, le fait que des millions de personnes vivent dans l’extrême pauvreté suscite une profonde indignation morale » affirme la préface du document. Lorsqu’il sera approuvé, l’éradication de l'extrême pauvreté ne sera plus seulement un devoir moral mais aussi une obligation juridique.

(*) Directeur de l’Institut du Tiers Monde (ITeM).

Plus d’informations
Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme : http://bit.ly/Q8aScC

Source
Agenda Global :http://bit.ly/vQpabr