Objectifs de développement durable: le secteur privé à la rescousse des gouvernements ?

Le Forum politique de haut niveau sur le développement durable (HLPF) se déroule du 10 au 19 juillet à New York, avec pour mission de faire le bilan annuel de la mise en œuvre des Objectifs de développement durable. Si l’objectif d’éradiquer toute forme de pauvreté partout sur la planète d’ici 15 ans est ambitieux, il convient cependant de rester critique quant au rôle à jouer par le secteur privé. Eclairage avec le réseau international Social Watch.

Chaque année, le Forum politique de haut niveau sur le développement durable (HLPF) met en exergue quelques objectifs de développement durable afin de définir un thème à la conférence annuelle. Ainsi, pour cette année 2017, le thème est « Eradiquer la pauvreté et promouvoir la prospérité dans un monde qui change ». Les 6 objectifs [1] mis en exergue cette année sont : (ODD 1) éradication de la pauvreté sous toutes ses formes, (ODD 2) éradication de la faim (sécurité alimentaire, nutrition améliorée et agriculture durable), (ODD 3) mode de vie sain et bien-être pour tous, (ODD 5) égalité entre les sexes et autonomisation des femmes et des filles, (ODD 9) infrastructures résilientes, promotion d’une industrialisation durable qui profite à tous et encouragement à l’innovation et (ODD 14) conservation et exploitation durable des océans, des mers et des ressources marines. Ces thèmes sont développés dans des conférences thématiques qui se déroulent tout au long de la première semaine du Forum politique de haut niveau.

CRÉER DES PARTENARIATS POUR ÉRADIQUER LA PAUVRETÉ

Incontestablement, l’éradication de la pauvreté, sous toutes ses formes, est la priorité première du Programme 2030 pour le développement durable. Il s’agit d’ailleurs du 1er objectif de développement durable, et le concept de l’éradication de la pauvreté est intrinsèque au slogan « Leave no one behind » qui signifie que personne ne doit être laissé à l’écart de ce programme universel pour rendre notre monde plus durable. Parallèlement, comme l’a exprimé publiquement le secrétaire général de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) Angel Gurria, dans une interview à Reuters, il est clairement reconnu que les gouvernements seuls ne pourront pas atteindre cet objectif : « Sans le secteur privé, a-t-il dit, nous n’y arriverons pas car chaque pays a ses contraintes budgétaires » [2]. Dans le contexte actuel de stagnation séculaire et d’austérité budgétaire, il semble illusoire de mobiliser les 2 500 milliards de dollars annuels estimés nécessaires par les Nations Unies pour financer les ODD, d’où l’intérêt grandissant des gouvernements envers la mobilisation du secteur privé pour assurer l’atteinte des objectifs de développement durable.

LE PLAN D’ACTION D’ADDIS ABEBA ET L’ESPRIT DES PARTENARIATS

Peu défini dans l’ODD 17 qui concerne pourtant les partenariats à mettre en œuvre pour la réalisation des objectifs, c’est dans le Plan d’action d’Addis Abeba (Addis Ababa Action Agenda - AAAA), résultat de la conférence sur le financement du développement tenue en juillet 2015 en Ethiopie, qu’est inscrite la priorité donnée aux partenariats public-privé. De facto, ce plan d’action est le programme de financement des Objectifs de développement durable et un chapitre entier est dédié au rôle important du secteur des affaires et de la finance : 11 paragraphes cherchent à promouvoir ou à encourager les partenariats qui réunissent plusieurs parties prenantes et les partenariats entre le secteur public et le secteur privé [3].

DES GOUVERNEMENTS DÉLÉGITIMÉS PAR LES GRANDS ACTEURS ÉCONOMIQUES

La tendance aux partenariats public-privé a eu le vent en poupe dans les années 80 et 90 (avec une vague de dérégulations et de privatisations) et connaît un grand retour en force depuis la crise financière de 2008. A l’heure où les gouvernements ont une marge d’action budgétaire limitée, les acteurs privés se positionnent comme la solution alternative. Le Forum économique mondial [4] va même jusqu’à prôner une gouvernance mondiale dirigée par une coalition de multinationales, de gouvernements et de quelques organisations de la société civile, les gouvernements n’étant plus l’acteur principal sur la scène internationale.

L’ENVERS DU DÉCOR

Dans ce contexte où la tendance est à l’affaiblissement des Etats et des investissements publics, le réseau international Social Watch apporte une analyse documentée et critique. Il a publié cette année, à l’occasion du Forum politique de haut niveau sur le développement durable, un premier rapport qui dépeint, études de cas à l’appui, une réalité peu reluisante. Ce rapport, intitulé « Spotlight on sustainable development » [5], démontre à quel point les privatisations, les partenariats public-privé et la montée en puissance de certaines grandes entreprises peuvent avoir des effets négatifs sur l’ensemble des objectifs du Programme 2030.

Ainsi, pour ce qui concerne l’accès à l’éducation (objectif 4 : éducation de qualité pour tous), des écoles privées, payantes et à but lucratif, ont proliféré en Afrique et en Asie [6]. Pour le secteur de l’énergie (objectif 7 : accès à une énergie propre et à un coût abordable) et la lutte contre le réchauffement de la planète (objectif 13 : mesures de lutte contre les changements climatiques), l’influence de grandes entreprises du pétrole et du charbon mine la lutte contre le réchauffement et la conversion vers des systèmes énergétiques plus durables. Les industries extractives jouent un rôle similaire (objectif 12 : mode de consommation et de production durables), en particulier dans la course à l’extraction des ressources dans les fonds marins qui représentent probablement la plus grande menace pour les océans (objectif 14 : gestion durable des océans et des mers). La biodiversité et les écosystèmes terrestres (objectif 15) sont eux aussi menacés par la marchandisation des « services » qu’ils peuvent fournir aux industries, et par des mécanismes de conservation axés sur les marchés et qui risquent de marginaliser des acteurs qui jouent un rôle central dans la préservation de la biodiversité depuis des millénaires : les peuples autochtones, les communautés locales et les femmes.

LE REVERS DE LA MÉDAILLE

De nombreuses études, académiques ou menées par des organisations de la société civile, ONG ou syndicats, ont montré que la privatisation de services et d’infrastructures publiques et différentes formes de partenariats public-privé induisent des coûts disproportionnés pour le secteur public et les personnes affectées.

Le département des Affaires sociales et économiques des Nations unies pointe ainsi le fait que « plusieurs études de chercheurs académiques et d’institutions internationales ont démontré la tendance des partenariats public-privé à être plus coûteux que leurs alternatives des marchés publics [7] ». Cela s’explique notamment par les garanties excessives accordées par le secteur public au partenaire privé, qui entraîne un aléa moral qui déresponsabilise ce dernier.

Dans certains cas, les inégalités sont exacerbées, l’accès équitable à des services de base est remis en question, et ce sont donc les droits humains fondamentaux, et en particulier les droits des femmes (objectif 5) qui sont empêchés.

La Banque mondiale, qui est devenue au fil des décennies l’institution internationale de référence pour la lutte contre la pauvreté, et qui d’habitude promeut les partenariats public-privé, a elle-même reconnu que plusieurs cas de partenariats public-privé n’ont pas donné les résultats escomptés, et les Nations Unies elles-mêmes, dans le cadre de la préparation de la conférence d’Addis Abeba, ont publié analyses et documents de travail afin d’identifier les risques de tels partenariats [8].

LES PRÉREQUIS POUR TRANSFORMER NOTRE MONDE

En résumé, les études montrent que les privatisations et les partenariats public-privé impliquent des risques disproportionnés et des coûts pour le secteur public. Qui plus est, ils peuvent travailler à l’encontre du but recherché qui est de réduire les inégalités, permettre un accès universel aux services de base et assurer le respect des droits humains. Le réseau Social Watch préconise donc de s’opposer à cette tendance, de demander au secteur public d’occuper pleinement son espace de décision et de prendre des mesures pour renforcer les finances publiques, réguler et, le cas échéant, refuser certains partenariats public-privé. Si la mobilisation du secteur privé est susceptible d’entraîner les financements additionnels nécessaires pour financer les ODD, encore faut-il que ces investissements privés soient encadrés par des normes sociales et environnementales contraignantes, qu’ils ne débouchent pas sur des privatisations de services publics et qu’ils n’impliquent pas un risque financier excessif pour les finances publiques. Ce sont des prérequis indispensables pour assurer l’atteinte des objectifs de développement durable et réellement « transformer notre monde », comme le propose le titre du Programme 2030 pour le développement durable.

Notes:

[1] Les 17 Objectifs de développement durable sont disponibles en français sur le site des Nations Unies : http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

[2] « Who funds the trillion dollars plan of the UN’s new global goals ?”, 26 septembre 2015, http://www.reuters.com/article/development-goals-finance-idUSL5N11V3PB20150926

[3] Ibid., paras. 10, 42, 46, 48, 49, 76, 77, 115, 117, 120 and 123.

[4] Voir le rapport « Global redesign » du Forum Economique mondial (2010) : http://www3.weforum.org/docs/WEF_GRI_StrengtheningInternationalCooperation_Book_2010.pdf

[5] Social Watch, « Spotlight on sustainable development », 2017 : http://socialwatch.org/report2017

[6] Voir par exemple le cas de Bridge International Academies, qui dispose de 500 écoles maternelles et primaires au Kenya, Ouganda, Nigeria, Liberia et Inde.

[7] J. KS, A. Chowdhury, K. Sharma, D. Platz, Public-Private Partnerships and the 2030 Agenda for Sustainable Development : Fit for purpose ?, DESA Working Paper No. 148, Février 2016, pp.12-16

[8] Voir par exemple : UN DESA Working Paper No. 148, ST/ESA/2016/DWP/148 (février 2016), par Jomo KS, Anis Chowdhury, Krishnan Sharma, Daniel Platz : https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/2288desaworkingpaper148.pdf

Per Véronique Rigot.