Évaluation de l’engagement réel avec l’aide au développement

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Kopin Malta
Joseph M. Sammut

Depuis l’entrée de Malte dans l’UE, l’Aide publique au développement (APD) s’est considérablement améliorée. En 2009, elle a augmenté de 65% par rapport à l’année précédente. Le pays a créé un cadre promissoire vis-à-vis de son engagement envers l’éradication de la pauvreté dans les pays en voie de développement, le respect des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), la promotion d’une bonne gouvernance  et le respect des droits de  l’Homme. Néanmoins, en examinant la question plus en profondeur, il n´est pas clair que le pays se montre disposé à mettre en pratique tout ou partie de son agenda pour le développement. Le Gouvernement devrait adopter des critères et procédures claires pour la sélection, les coûts et l’évaluation des projets.

Malte est entrée dans l’Union Européenne en 2004 et depuis cette date, le pays a multiplié les efforts pour que son niveau d’APD atteigne 0,17 % de son Produit intérieur brut (PIB) en 2010 et pour que le ratio APD/PIB atteigne 0,33 % en 2015. Malte a également signé la Déclaration du millénaire de l’ONU par laquelle le pays s’est engagé à travailler pour atteindre les OMD.

Est-ce que Malte tient ses promesses ? On peut noter un progrès considérable sur cette courte période de cinq ans (2004-2009) à la suite de  l’entrée du pays dans l’UE et la transition qui a suivi pour devenir pays donateur. Le Gouvernement a déterminé une politique écrite par rapport à l’aide à l’étranger et  a montré avec une transparence « partielle » le mode de distribution des fonds de l´APD.

Un bon cadre de coopération pour le développement

En octobre 2007, le Gouvernement a publié son premier rapport sur la Politique de développement à l’étranger[1]. Ce document s’appuie sur les valeurs de base de la politique extérieure de Malte : la solidarité, le respect de l’état de droit international - comprenant le droit humanitaire – , la promotion de la démocratie, des droits de l´Homme et la bonne gouvernance. Conformément au Consensus européen pour le développement[2], l’objectif général de la Politique est d’éradiquer la pauvreté dans le contexte du développement durable, de façon à respecter les OMD, outre la promotion de la bonne gouvernance et du respect des droits de l´Homme.

Ce document reconnaît l’importance du rôle joué par les acteurs n’appartenant pas à l’État – le secteur privé, les agents économiques et sociaux et la société civile en général – qui sont devenus des éléments clés de la coopération internationale pour le développement. Il pose les bases d’un dialogue efficace entre le Gouvernement et la société civile, il offre à cette dernière l’opportunité de mettre en pratique ses précieuses connaissances, son expérience et son niveau d’expertise. Au même titre que d’autres ONG à travers le monde, beaucoup de celles qui interviennent à Malte ont cumulé des années d’expérience et de travail de terrain, elles gèrent plus de projets et de programmes de développement que ceux financés par les organismes officiels d’aide. Le ministère des Affaires étrangères (MFA pour son sigle en anglais) a invité les ONG reconnues par le Gouvernement à présenter des propositions pour la subvention à de petits projets « de base »  dans l’hémisphère sud.

Le document stipule qu’il ne peut y avoir développement, en particulier économique, à moins que les pays récepteurs de cette aide présentent un climat politique de sécurité et de stabilité et que le manque d’une bonne gouvernance, de développement et de sécurité sont des facteurs contribuant à la migration et à l’exode intellectuel dans le monde en développement, en particulier lorsque les taux d’inflation et de chômage sont élevés. De cette façon, on pose le cadre pour l’aide humanitaire pour laquelle Malte reconnaît un processus continu entre l’aide d’urgence, la réhabilitation et le développement. L’aide à la réhabilitation postérieure à des situations d’urgence, qui comprend les efforts de reconstruction et de réconciliation, est intrinsèquement liée à la réponse humanitaire du pays.

C’est la raison pour laquelle, la Politique de développement à l’étranger est, en soi, un bon document qui met l’accent sur tous les aspects importants de la coopération pour le développement. Subsiste un doute quant à la volonté du MFA de la mettre en pratique dans sa totalité ou seulement en partie.

Toute l’aide n’est pas destinée au développement

En 2004 et 2005, la Commission Européenne (CE) a révélé que Malte est le plus important donateur parmi les 10 nouveaux États membres avec une contribution d’APD à hauteur de 0,18 % du PIB. Cependant, le rapport Aid Watch Report préparé par CONCORD[3], indique que l’APD de Malte a été doublée par erreur par l’ajout des dépenses du pays pour les réfugiés. L’APD authentique correspond à l’argent alloué à l’aide au développement avec l’objectif d’améliorer le bien-être des personnes les plus pauvres dans les pays en voie de développement et non pas l’argent dépensé pour les réfugiés ou étudiants étrangers à l’intérieur du pays donateur.  De plus, Malte a déclaré des pertes pour un montant de EUR 6,5 millions correspondant à une somme que l’Iraq devait lui régler en 2004 ; cette somme a été intégrée comme part de son APD pour la période 2003-2005[4]. Le MFA se refuse à publier un détail clair et transparent de ses déclarations de la CE sur son APD[5].

Les statistiques concernant l’APD pour 2006 laissent apparaître un montant de EUR 6,8 millions équivalent à 0,15% du PIB. Ceci représente une diminution par rapport aux années précédentes. En 2007, la CE a indiqué que Malte avait dépensé EUR 7,5 millions (soit 0,15 % du PIB) en APD, alors que les calculs budgétaires montrent que le MFA a approuvé un montant s’élevant seulement à EUR 209.000 pour ce but. Les ONG estiment que le reste de l’argent a été utilisé à d’autres fins comme la détention de demandeurs
d’ asile. Seules deux des onze subventions allouées étaient destinées à l’Afrique : un projet du Rotary Club pour un centre de télécommunications en Erythrée et une contribution de la Croix Rouge belge à un plan d’action de lutte contre le VIH en Lybie.  D’autres versements d’aide ont été destinés à la construction de cours de récréation à Bethléem et à l’envoi d’un conteneur en Albanie, des dons versés au Secrétariat de la Fédération, aux institutions internationales comme les Nations Unies et d’autres fonds d’aide d’urgences ; des congrès ; de l’argent versé à un cimetière chrétien en Tunisie et à la Fondation Diplo, entre autres. Un autre don apparaît, destiné  à une entreprise privée pour la construction du poste du MFA pour les Journées européennes du développement à Lisbonne[6]. Pour toutes ces raisons, les ONG maltaises qui travaillent sur l’aide au développement ont accusé le Gouvernement de gonfler les chiffres de l’aide[7].

Les chiffres de 2006 et 2007 ont également été très critiquées par CONCORD[8] , puisque l’APD semble en effet avoir été essentiellement destinée aux immigrants, soit sous forme de services au cours de leur première année à Malte, soit pour leur rapatriement. Ces sommes ne constituent pas une aide au développement pour un pays et devraient donc pas être comptabilisées comme APD. De plus, tous les ans un certain nombre de bourses sont attribuées à des personnes issues de pays en voie de développement sans qu’il n’y ait aucun mécanisme indiquant si ces bourses servent à diminuer la pauvreté.

Besoin de transparence

Au cours des échanges avec les institutions européennes et lors de réunions internationales, le ministre des Affaires étrangères de Malte a plaidé en faveur de conditions de délivrance de l’aide au développement qui incluraient le rapatriement des immigrants[9]. Le SKOP, la plateforme nationale des ONG maltaises, émet de fortes réserves quant à cette proposition et estime qu'elle va à contre-sens de l’objectif de l’APD, à savoir, la lutte contre la pauvreté dans le monde. Le rapport Aid Watch 2007 de CONCORD indique également qu’à l’heure actuelle les ONG n’ont pas accès aux informations officielles des autorités maltaises et qu’il est impossible d’évaluer indépendamment les chiffres fournis par le Gouvernement. Le SKOP a demandé en vain un inventaire détaillé et transparent de l’APD de Malte. Le défaut de transparence et d’une évaluation correcte et indépendante de l’aide de Malte met en danger la participation des ONG aux affaires de coopération pour le développement.

Le Dr Tonio Borg, ministre des Affaires étrangères, a déclaré lors d’un séminaire sur les OMD qu’il « n’y a rien de foncièrement incorrect à utiliser l’argent de l’APD pour les réfugiés parce qu'on est en situation d’assistance – qu’il s’agisse d’opérations de recherches et de secours, d’apporter un hébergement ou un repas – ce qui couvre les besoins des personnes nécessiteuses arrivées à Malte et qui seront, finalement, libérées »[10]. Ceci confirme les préoccupations émises par les ONG depuis longtemps. Plus encore, en faisant allusion à la politique de Malte, le rapport CONCORD affirme que le Gouvernement a également indiqué que davantage de fonds d’aide seront alloués à l’assistance technique. Les ONG sont, en général, préoccupés par le fait que l’assistance technique ne réponde pas aux besoins véritables des pays en voie de développement et dans ce cas-là, la reddition des comptes est difficile.

En réponse à une question parlementaire posée par le député travailliste Leo Brincat, en juin 2008[11], le ministre a mentionné que la seule obligation pour Malte était d’informer la Communauté Européenne du montant global de l’APD et à quelle part du PIB ce montant correspondait, afin de garantir que le pays respecte bien les engagements vis-à-vis des OMD.

En 2009, Malte a promis de consacrer EUR 11 millions  à l’APD, soit une augmentation de 65 % par rapport à l’année précédente. Le Gouvernement a justifié EUR 237.000 pour le financement de 80 % des projets menés par les ONG maltaises pour le développement[12]. Le ministre exige que les organismes de la société civile financent 20 % de leurs projets respectifs à partir de fonds de sources alternatives. Ces fonds ont été remis à neuf ONG locales qui conduiront des projets de lutte contre la pauvreté en Afrique et un en Amérique du Sud. Deux dons ont été effectués : EUR 12.750  et EUR 12.224, respectivement, à la Bethlehem University et à un hôpital de Jérusalem.  Ces deux centres proposent des services aux habitants de la région sans distinction de race, de religion ou de nationalité.

Recommandations

Malte doit tenir ses promesses vis-à-vis des pays pauvres de l’hémisphère sud. L’APD doit se concentrer sur son action visant à éradiquer la pauvreté dans les pays les moins développés. Le Gouvernement devrait s’efforcer d’augmenter sa part dans l’aide au développement afin de respecter les objectifs de 2010 et 2015. Le pays devrait élaborer une stratégie de développement avec des objectifs visant à réduire la pauvreté comme critères essentiels pour l’attribution de l’aide et qui concernera précisément la discrimination hommes
- femmes, les engagements pour l’égalité des sexes et l’ autonomisation de la femme.

Le chiffre de l’APD ne doit pas être gonflé en y ajoutant les frais d’hébergement des réfugiés. Le Gouvernement devrait plutôt utiliser pleinement  l’aide apportée par l’UE pour les réfugiés et demandeurs d’asile. Lors de sa visite à Malte en 2009, Jacques Barrot - alors Commissaire européen à la Justice - a répété que plus de EUR 126 millions  avaient été alloués à l'île pour les dépenses liées aux questions d’asile, d’immigration et des frontières pour la période 2007-2013. Barrot a fait part de sa désapprobation sur le fait que le pays n’avait dépensé que EUR 18 millions. D’après les calculs publiés dans la presse locale,  EUR 24,4 millions et EUR 32,5 millions ont été respectivement attribués à Malte en 2007 et 2008, et EUR 18 millions par an jusqu’en 2013 en plus d’autres aides et subventions pour faire face aux situations qui pourraient surgir. Cette aide devrait être utilisée en totalité[13].

Le Ministère des Affaires étrangères devrait établir des critères et procédures claires pour la sélection, les frais et l’évaluation des projets. Les consultations avec les gouvernements et la société civile des pays récepteurs s’avèrent importantes pour que l’aide au développement soit de qualité. Il convient d’établir un chronogramme contraignant pour atteindre les objectifs établis à partir de véritables sources d’aide et garantir qu’une augmentation durable sur les budgets d’aide permette aux pays récepteurs d’atteindre les objectifs dans les délais impartis. La transparence est un facteur très important dans un pays démocratique. Les citoyens ont le droit d’être informés quant à l’usage fait de l’argent de leurs impôts et ceci comprend une analyse claire des chiffres de l’APD. Ce sera donc un exemple de bonne gouvernance pour les pays récepteurs.

L’ enseignement sur la citoyenneté globale et sur le développement devrait être intégrée dans l’ éducation des étudiants maltais. Ceci devrait améliorer leur sens des responsabilités pour l’éradication de la pauvreté au niveau mondial par l’enseignement des principes démocratiques, la promotion du respect par l´ état de droit et les droits humains, la solidarité et l’union collective afin de tenter de renforcer l’alliance mondiale. Ceci permettrait de développer leur connexion avec leurs frères des pays en voie de développement et améliorer l’efficacité de la coopération pour le développement.

[2] Adopté au Conseil de l’Europe, les 15 et 16 décembre 2005. Disponible sur : <www.enpi-programming.eu/wcm/dmdocuments/EU-consensus-development.pdf>.

[3] Le rapport sur Malte a été élaboré par le SKOP, une plate-forme nationale des ONG maltaises. Voir : CONCORD, Aid Watch 2006. Disponible.

[4] C. Calleja, “Blessed are the poor”, Times of Malta, 16 avril 2006.

[5] Ibid.

[6] M. Vella, “Malta aid figures show little cash reaches world’s poorest”, Malta Today, 16 novembre 2008. Disponible sur : <www.maltatoday.com.mt/2008/11/16/t8.html>.

[7] I. Camilleri, “Malta accused of inflating its development aid”, Times of Malta, 23 mai 2008. Disponible.

[9] Ibid.

[10] C. Calleja, “Refugees get lion's share of funds meant for overseas aid”, Times of Malta, 18 octobre 2008. Disponible.

[11] L. Brincat, Parlement de Malte, 2008. Disponible sur :<www.parliament.gov.mt/file.aspx?f=545>.

[12] “Overseas Development Aid 2009”, 3 novembre 2009. Disponible sur : <www.foreign.gov.mt/default.aspx?MDIS=21&NWID=664>.

[13] Only €18 million spent from €126 million in EU migration funds”, Malta Today, 18 mars 2009. Disponible sur : <www.maltatoday.com.mt/2009/03/18/t2.html>.