Comment mesurer le bien-être, l'équité et la durabilité

Photo: Chad Magiera/Flickr/CC

La communauté internationale doit élaborer de nouveaux indicateurs pour évaluer la performance des pays et de la planète en termes d'économie, d'équité, de bien-être, des droits humains et de durabilité, selon le Groupe de réflexion de la société civile sur les perspectives de développement mondial, formé par 18 remarquables activistes et académiciens du monde entier.

« Il est temps d'apprendre » des crises économique, financière, alimentaire et climatique actuelles, qui « témoignent de l'échec du modèle de développement dominant » qui « confond la croissance du PIB avec le progrès social et conçoit la pauvreté comme un simple défi technique, tout en ignorant les inégalités et l'injustice sociale », a exhorté le Groupe de réflexion dans un rapport qui sera officiellement présenté le samedi à Rio de Janeiro, dans le cadre de la Conférence des Nations Unies pour le développement durable (Rio2012).

L'étude recommande de « regarder au-delà des concepts de développement conventionnels » et « repenser depuis leurs fondements les modèles et les politiques du progrès social, tant dans le Nord que dans le Sud ».

La conférence Rio2012 qui se tiendra la semaine prochaine au Brésil, et « les discussions sur ​​un programme de développement post-2015 » ouvrent « une fenêtre d'opportunités unique pour reconsidérer le paradigme actuel de développement et créer des stratégies vers une approche holistique et fondée sur les droits », d’après le Groupe, formé par des membres de Social Watch, la Fondation Friedrich Ebert, Terre des hommes, le Third World Network, Fondation Dag Hammarskjöld, DAWN et le Global Policy Forum.

La conception de nouveaux indicateurs sera analysée le mercredi 20, le premier jour de Rio2012, dans un débat intitulé « Au-delà du PIB : Mesurer l'avenir que nous voulons », avec la participation du président de l'Indonésie, Susilo Bambang Yudhoyono, la Première Ministre du Danemark, Helle Thorning-Schmidt, l’administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Helen Clark, et le coordinateur de Social Watch et membre du Groupe de réflexion, Roberto Bissio.

Suite à la création en 1953 du Système de comptabilité nationale des Nations Unies, qui a permis de comparer les indicateurs économiques entre les pays, la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant « est devenue un synonyme de développement », tel que l’indique le Groupe de réflexion.

Cependant, le PIB « ne fournit pas une vue d’ensemble de l'économie » car, par exemple, « il ne montre pas les inégalités, ne rend pas compte de la création ou la destruction des ressources, y compris les infrastructures, la biodiversité, les écosystèmes, la culture et le capital humain », et exclut « les services fournis gratuitement par des personnes à des membres de leurs familles », rendant donc invisible le travail des femmes, explique l'étude.

Le Groupe de réflexion analyse dans son rapport divers mécanismes pour mesurer la performance économique et sociale des pays tels que l'Indice de Développement Humain (IDH), calculé depuis 1990 par le PNUD, les indicateurs de bien-être publiés depuis 2011 par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, qui compte parmi ses 34 membres tous les pays riches du monde) et l'Indice du bonheur national du Bhoutan.

De nombreux spécialistes de l'ONU veulent créer un nouvel Indice du Développement durable qui intègre les « trois piliers » de questions sociales, économiques et environnementales dans un seul numéro.

L'idée d'une mesure unique pour le développement durable est attrayante et ses défenseurs affirment que, sans un numéro unique alternatif il ne sera pas possible de déplacer le PIB de son piédestal. Cependant, la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, dirigée par les prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen, et l'économiste Français Jean-Paul Fitoussi défend avec vigueur le point de vue opposé: « La durabilité est un concept complémentaire à celui de bien-être ou de performance économique et doit être examinée séparément ». 

Selon Stiglitz-Sen-Fitoussi, durabilité et bien-être sont deux notions différentes, et il met l’exemple du tableau de bord d'une voiture, qui fournit au conducteur des indicateurs indépendants pour la vitesse et le carburant restant. L’un informe du temps nécessaire pour atteindre une destination, l'autre à a voir avec une ressource nécessaire qui est consommée et peut arriver à une limite avant que la destination soit atteinte. Mélanger les deux dans un seul numéro, disent-ils, ne ferait que créer la confusion.

La durabilité de toute activité dépend de ne pas épuiser (ou de pouvoir renouveler) une certaine ressource. Si nous pêchons en dessus d’une certaine limite, les poissons seront décimés. Les émissions de carbone dans l'atmosphère par la combustion de combustibles fossiles cumulent des gaz qui produisent les changements climatiques et, donc, épuisent l'« espace atmosphérique ».

Quoi mesurer

Le Groupe de réflexion a conclu que le PIB « n'est pas une mesure de qualité de vie », non pas « une mesure de la durabilité, et même pas la mesure correcte pour évaluer la performance économique ». Le rapport indique que, selon  Stiglitz-Sen-Fitoussi, cet indicateur « devra être examiné et complété avec d'autres pour parvenir à une image fidèle » de l'économie.

Pour évaluer l'équité et la distribution, le Groupe de réflexion mentionne le coefficient de Gini, qui « est uniquement disponible dans la base de données de la Banque mondiale » et calculé dans peu de pays, car « l'inégalité n'a pas été un sujet important pour la recherche ou l’élaboration de politiques ».  Un indicateur plus complexe est l'« indice de développement humain ajusté aux inégalités », élaboré par le PNUD lui-même.

Pour évaluer le bien-être, en général on fait des moyennes entre « divers indicateurs allant de la perception subjective [...] à d'autres qui mesurent objectivement la malnutrition, la mortalité, les niveaux d'éducation ou de temps effectivement consacré au travail rémunéré, au travail non rémunéré, aux déplacements, aux loisirs ou à la socialisation ». Le résultat de ces mesures « prévient que même si l'économie croît, le capital humain et le capital social [...] peuvent se détériorer », indique le rapport.

En 2009, 29 scientifiques de renom ont identifié neuf « limites planétaires », sept desquelles ont été quantifiées. Trois limites ont été déjà outrepassées (le changement climatique, le cycle de l'azote provenant de l’abus dans l'utilisation d'engrais et la perte de biodiversité). Avec ces données, la contribution de chaque pays ou acteur économique (producteur ou consommateur) à la non-durabilité globale peut être calculée, soit en valeur absolue ou par habitant. En quantifiant la limite et les facteurs qui la transgressent, il est également possible de calculer le coût de réparation des systèmes. Ainsi, au moins théoriquement, le principe du pollueur-payeur obligerait à reconnaître une « dette écologique ». Mais les pays qui ont accumulé cette dette ne veulent pas entendre parler de ceci.

Plus d’informations
Groupe de réflexion : « Nous vivons déjà sur du temps emprunté » : http://bit.ly/sFnyNU
Des changements vers « la justice universelle à venir » : http://bit.ly/MHtLMz
Groupe de réflexion (en anglais) : http://bit.ly/nDtJJ4

Sources
Rapport complet du Groupe de réflexion (en anglais) : http://bit.ly/L71Aq9
Résumé du rapport : http://bit.ly/nDtJJ4