ERITREA

Une prison en plein air face à la crise mondiale

Eritrean Movement for Democracy and Human Rights (EMDHR)
Daniel R Mekonnen

Sans constitution ni Parlement qui fonctionnent, sans système judiciaire indépendant ni presse libre et sans transparence administrative, l’Erythrée, le pays le plus militarisé du monde, manque de mécanismes nécessaires pour aborder la crise mondiale. La récession de l'économie mondiale a fait chuter les envois de fonds vers le pays, tandis que les prix des aliments et du carburant ont subi une montée fulgurante. L'Erythrée a besoin d'une transition immédiate à un système démocratique de gouvernance avec le soutien de la Communauté internationale. L'aide humanitaire supervisée par les ONG internationales indépendantes semble être le plan d'urgence le plus efficace pour sauver les vies de la population sans défense.

Bien avant que la crise financière mondiale ne s’aggrave, vers fin 2008, l'Erythrée était déjà plongée dans un profond chaos économique, social et politique. Le pays possède un des historiques mondiaux les plus lourds en ce qui concerne la protection des droits humains, comme l'affirment divers organismes de surveillance des droits humains régionaux et internationaux, y compris la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Groupe de Travail de l'ONU sur la Détention Arbitraire. La crise des droits humains s’est aggravée après le choc frontalier avec l'Ethiopie, entre 1998 et 2000. Depuis lors, le Gouvernement a utilisé les suites du conflit comme prétexte pour supprimer les droits et les libertés fondamentales.

Une prison en plein air

L'Erythrée est indépendante depuis 1991, mais elle n'a pas encore offert à ses citoyens de véritable liberté. De fait, on peut à peine entrevoir des caractéristiques de gouvernement libre et démocratique conventionnelles1. De part le monde, presque tous les pays ont réussi à ériger un pacte, un document national obligatoire ou une constitution. La plupart d’entre eux ont également des Parlements en activité et font appel à des élections régulières et périodiques, indépendamment de leur liberté ou leur impartialité réelles. D’un autre côté, ils autorisent l'existence de moyens de communication privés, même si, parfois, les contrôles sont tellement restrictifs que la liberté de presse est annulée. En Erythrée, le Gouvernement a adopté une Constitution en 1997 mais ne l'a jamais mise en pratique. Le Parlement a cessé de fonctionner en février 2002. Les moyens de communication privés (radio, télévision, presse écrite et électronique) ont disparu entre 1997 et 2001; seuls subsistent les moyens officiels, qui sont toujours plus fidèles à l'élite dirigeante qu'à la vérité. Et pire encore, depuis son indépendance, le pays n'a jamais jouit d'élections libres et impartiales.

Aujourd'hui, quand on voit les longues queues dans les rues d'Asmara pour aller chercher son pain, on réalise que la vie est devenue très difficile pour les Erythréens. Comme les anciennes autorités d'occupation du Derg (le comité coordinateur des forces armées, policières et de l'armée de terre) durant les années 1970 et 1980, le Gouvernement paraît avoir, lui aussi, déclaré la guerre à son propre peuple. Un propos très répandu entre les Erythréens signale que la seule différence entre le régime du Derg et celui de l’actuel Front Populaire pour la Démocratie et la Justice (FPDJ), c’est que les fonctionnaires du Derg s’exprimaient généralement en amharique (la langue officielle éthiopienne) tandis que ceux du FPDJ parlent le tigré, un dialecte national qui a un statut officiel de facto.

Les personnes qui n'adhèrent pas à l'idéologie de l'État ou qui ont des croyances religieuses non acceptables officiellement par le Gouvernement, souffrent de persécutions systématiques et sont punies sévèrement par le système sécuritaire et militaire. Ceci ayant pour résultat, les violations des droits humain, devenues endémiques ; la violation est la norme et la protection l'exception. Quelques estimations conservatrices suggèrent que plus de 20.000 personnes sont enfermées sans avoir eu de procès et sans avoir de contact avec l'extérieur. Elles sont réparties dans plus de 300 prisons formelles et informelles réparties un peu partout dans le pays. La plupart de ces centres de rétentions sont dirigés par des Généraux de l'armée, qui n’ont de comptes à rendre ni à la police ni aux tribunaux ordinaires. En résumé, le pays a été transformé en une prison en plein air où les droits et les libertés fondamentales sont totalement bâillonnés par des pratiques dominantes et abusives, qui sont devenues cauchemardesques et kafkaïennes.

Les indicateurs sociaux et de développement

Les indicateurs de développement sont contradictoires. Certaines sources soulignent dans leurs rapports, des « progrès » dans certains secteurs comme la mortalité infantile et la morbidité maternelle. Toutefois, étant donné l'atmosphère politique extrêmement répressive et l'impossibilité d'obtenir des données fiables, il est difficile de prendre ces rapports au pied de la lettre. En réalité, les politiques économiques erronées de l’autoritaire FPDJ ont totalement vidé l'économie nationale et locale bien avant que ne survienne la crise financière globale, fin 2008.

L'Erythrée est qualifié de manière désastreuse dans plusieurs rapports provenant de sources indépendantes. Par exemple, l'Indice de la Faim place le pays à l’antépénultième position, c.-à-d. au 116ème rang sur 118 pays classés par le rapport2. Le pays reçoit une très mauvaise qualification dans l'Indice de Capacités de base (ICB), dans lequel il laisse entrevoir de sérieuses difficultés dans chaque dimension du développement social. Selon Journalistes Sans Frontières3, l'Erythrée est le pire pays au monde en ce qui concerne la liberté de la presse, volant la place de la Corée du Nord dans le classement. En dépit de sa faible population de 4 millions d'habitants, l'historique alarmant du pays en ce qui concerne les violations des droits humains, le place en 4ème source émettrice de réfugiés dans le monde. Les dernières 19.400 demandes réalisées en 2005-2006 le situe à peine au-dessus d'états détruits et chaotiques comme la Somalie, l’Iraq et le Zimbabwe4.

Le pays le plus militarisé

La militarisation excessive est un autre de ses graves problèmes. Les élèves de l'enseignement secondaire sont obligés de s’inscrire à des camps militaires pour recevoir une « éducation formelle ». Le Camp d'Entraînement Militaire Sawa, tristement célèbre, est un des endroits où les étudiants sont disciplinés conformément au strict règlement militaire. L'abusif Programme de Service Militaire National (PSMN), qui commence à dix-huit ans et qui ne se termine jamais, fait partie de l’étape préparatoire de l'endoctrinement. Les nombreux et détestables abus des droits humains perpétrés sous le PSMN incluent des viols et autres genres de violence sexuelle contre les recrues. Durant les dernières années, la totalité des institutions académiques ont été placées sous le contrôle effectif de commandants militaires. En 2003, le pays se considérait comme l'état le plus militarisé au monde ; en outre, il avait le troisième pourcentage le plus élevé de Produit National Brut destiné aux dépenses militaires5, après la Corée du Nord et l'Angola. Vers la moitié de l’année 2000, les forces armées comptaient dans leurs rangs 300.000 personnes, plus que dans toute autre période de leur histoire. Depuis lors on croit que la quantité d'effectifs a augmenté de manière exponentielle. Les recrues constituent 45,27 % du total de l'armée nationale, et sa vulnérabilité est proportionnelle à sa quantité.

La crise qui domine le pays a été exacerbée par la récession de l'économie mondiale, qui a provoqué l’arrêt des envois de fonds provenant de l'étranger. Les coûts des aliments et du carburant sont montés en flèche. On dit que les prix du carburant dans les stations service strictement contrôlées par le Gouvernement sont les plus élevés au monde. De fait, il est pratiquement impossible de trouver du carburant. Les aliments peuvent être achetés seulement de manière légale dans les magasins du Gouvernement et les agriculteurs doivent vendre leur grain à ces magasins à un prix préétabli. La vente de grains sur les marchés locaux est punie, comme le président lui-même l’a déclaré dans une conférence de presse en janvier 2009.

La réponse du Gouvernement

Le Gouvernement rejette catégoriquement les rapports sur les problèmes économiques ou sur la répression politique, et il les qualifie de « propagande ennemie ». De fait, le président a expliqué que les rapports qui font part des pénuries économiques du pays sont l’expression des frustrations « de personnes suralimentées et capricieuses » qui ne savent pas administrer leurs ressources. En réalité, les gens meurent littéralement de faim – à cause de la famine provoquée par le FPDJ.

L'Erythrée ne possède pas d'outils législatifs, administratifs ou institutionnels qui permettent de répondre adéquatement à la crise mondiale actuelle car le pays n’a pas de Constitution ni de Parlement qui fonctionnent adéquatement, pas de système judiciaire indépendant ni de presse libre, pas de transparence administrative et encore moins un budget national publié officiellement. En outre, les mécanismes traditionnels pour faire face à des problèmes comme celui de l'émigration sont, pratiquement, inexistants. Sous une suffocante loi martiale, les points d’entrée et de sortie sont fermés de manière hermétique. Après avoir consommé les faibles ressources dont peut disposer la population affamée – spécialement les femmes, les personnes âgées et les enfants – cette population ne peut se déplacer nulle part ailleurs et doit se résigner à mourir dans les villages. Le Gouvernement n'a pas encore adopté de programme pour protéger la population la plus vulnérable.

Les ONG manipulées par le Gouvernement

Un agenda de développement solide qui se base sur les Droits, doit donner une préférence stratégique à l'autonomisation et à la responsabilisation des communautés locales. Cette perspective doit accorder aux personnes le pouvoir et la capacité de devenir les principaux acteurs de leurs vies. Une manière éventuelle d’y parvenir serait la participation d'organisations de la société civile et d'ONG locales indépendantes représentant les intérêts de leurs communautés. Mais malheureusement, l'atmosphère répressive rend le travail de la société civile indépendante impossible. Le pays a seulement trois organisations locales compromises avec l'agenda de développement national pour le prétendu bénéfice de la population en général : le Syndicat National de Femmes Erythréennes, le Syndicat National de la Jeunesse et des Etudiants Erythréens et la Confédération Nationale des Travailleurs Erythréens. Il y existe d'autres « organisations de la société civile » plus redoutables, mais dont on ne connait que le nom.

Cependant, comme tout le monde le sait, ces trois organisations actives ne sont ni authentiques ni suffisamment indépendantes pour représenter les intérêts de leurs membres. Elles fonctionnent comme des ligues (branches) féminine, juvénile et de travailleurs du parti au gouvernement, qui choisit ses chefs et qui exige leur loyauté. Autrement dit, ce sont des exemples typiques d'ONG manipulées par le Gouvernement, conçues pour dissimuler la dépendance du pays de l'aide externe et pour feindre une participation de la société civile qui n'existe pas. Les seules organisations de la société civile indépendantes, comme le Mouvement Erythréen pour la Démocratie et les Droits Humains, travaillent depuis l'exil et sont accusées par le Gouvernement de « marionnettes de l'ennemi » ; s'ils sont attrapés dans le pays, leurs membres sont emprisonnés et torturés.

La coopération internationale

La coopération internationale est cruciale pour résoudre les multiples crises mondiales qui frappent de manière disproportionnée les populations des pays en développement. Pendant de nombreuses années, le déficit alimentaire de l'Erythrée a été couvert par l'aide alimentaire donnée par la Communauté internationale (même si le Gouvernement ne le reconnaît pas). Les organisations d’aide et les ONG internationales ont joué un rôle fondamental dans cet aspect. Toutefois, beaucoup d’entre elles ont été expulsées à la suite de la politique du Gouvernement d'« autosuffisance », politique illusoire. Bien qu'il ne rejette pas l'aide alimentaire, le Gouvernement complique les démarches pour qu'elle puisse entrer dans le pays. Il préfère l'aide internationale en espèces.

L'Union Européenne demeure toujours l’un des principaux fournisseurs internationaux d'aliments et d'aide au développement de l’Erythrée. Elle a récemment approuvé un lot d'aide au développement pour 122 millions d’EUR (approximativement 161 millions d’USD) du 10ème Fonds de Développement Européen, mais elle a des préoccupations légitimes quant au dédain montré par le gouvernement érythréen envers les exigences légales qu'entraîne tout plan d'aide au développement responsable. Ces exigences consistent à s’engager pour les principes de bonne gouvernance, de reddition de comptes et de respect des droits humains ainsi que de l'état de droit, des principes qui n’existent pas en Erythrée. Le pays n'a ni la volonté politique, ni les moyens d'assurer une véritable politique de développement et il n’y a pas de processus transparent de prise de décisions qui permette de formuler et de mettre en pratique les politiques étatiques pouvant aider à surmonter la crise mondiale actuelle.

Il est immédiatement nécessaire de mener le pays vers un système démocratique de gouvernance et soutenu par la Communauté internationale. En même temps, l'aide humanitaire contrôlée par des ONG internationales indépendantes se présente comme la façon la plus efficace de sauver la vie de la population sans défense, asphyxiée par la grave répression politique et l'effondrement économique.

1 Voir Mekonnen, D.R. (2009). Transitional Justice: Framing a Model for Eritrea. VDM Publishing: Saarbrucken, Allemagne.

2 Welt Hunger Ilfe (2007). The Challenge of Hunger 2007. Disponible sur : <www.welthungerhilfe.de/fileadmin/media/pdf/Pressemitteilungen/DWHH_GHI_english.pdf>. Consulté le 4 janvier 2008.

3 Reporters Without Borders (2007). Annual Worldwide Press Freedom Index. Disponible sur : <www.rsf.org/article.php3?id_article=24025>. Consultado el 16 de octubre de 2007.

4 Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (2007). Global Trends: Refugees, Asylum Seekers, Returnees, Internally Displaced and Stateless Persons. Genève. Disponible sur : <www.unhcr.dk/Pdf/statistics/global_trends_2006.pdf>.

5 Awate Team (2003). Defending Indefensible, Indulging Incompetence. Disponible sur : <www.unhcr.dk/pdf/statistics/global_trends_2006.pdf>.