La société civile arabe apporte son message à Washington

Une protestation en Palestine.
(Photo : Issam Rimawi/APA)

Un groupe important de membres et alliés du Réseau des ONG arabes pour le développement (ANND) visite Washington cette semaine pour faire connaître son évaluation du lien entre les Etats-Unis et les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les 12 militants et experts de 10 pays (l’Egypte, la Tunisie, la Palestine, le Liban, la Jordanie, le Maroc, le Bahreïn, le Yémen, le Soudan et l'Irak) profitent de l'occasion pour ouvrir et approfondir des espaces de dialogue entre la société civile arabe et celle américaine, ainsi qu’avec des personnalités politiques du pays américain.

Dans un document récapitulatif avec des suggestions publié avant la visite, les organisations ont souligné leurs préoccupations principales. La première est « le caractère fondamental de la reconnaissance des droits des Palestiniens aux processus de démocratisation et de développement dans la région arabe », suivie par « reconstruire la crédibilité de la politique étrangère américaine », « repenser les relations commerciales et d'investissement », « réformer l'aide américaine au développement » et « reconsidérer la dette des pays arabes avec les Etats-Unis ».

« Il faut reconnaître et soutenir les droits du peuple palestinien et leur quête d'une solution juste au conflit avec l’Israël comme condition fondamentale pour tout progrès de toute la région vers la stabilité politique, la consolidation de la démocratie et le développement durable », explique l’étude. « L'absence d’efforts constructifs et authentiques sur le processus de paix israélo-palestinien et la domination persistante des intérêts de la sécurité dans la région contribuent à saper la crédibilité de la politique des Etats-Unis. » 

La question palestinienne affecte le processus politique régional dans son ensemble et elle est un des facteurs majeurs qui l’aggravent, de même que les politiques socio-économiques qui favorisent l'inégalité et l'illégitimité des gouvernements, a expliqué Allam Jarrar, membre du comité directeur du Réseau d’ONG palestiniennes (PNGO), lors d'une conférence sur le rôle de la société civile dans les révoltes arabes tenue mardi au siège de la New America Foundation.

L'aide des États-Unis sera inefficace et l'économie palestinienne ne va pas s'améliorer jusqu'à ce qu'Israël ne lève ses restrictions et la sécurité de la population et les libertés ne soient assurées, y compris la liberté de mouvement et de circulation, a ajouté Jarrar.

Les revendications de droits humains et politiques demeurent importantes en Egypte et en Tunisie, où les soulèvements populaires ont mis fin aux dictatures qui les opprimaient mais, désormais, leurs sociétés font plus attention à d'autres questions telles que la réforme économique et l'équité.

« Le citoyen dont les droits sont défendus est clé au maintien des pratiques démocratiques dans la région et pour atteindre les objectifs des révolutions », a déclaré Kinda Mohamadieh, directrice des programmes de l’ANND, à la conférence. « Si les Etats-Unis et l'Union européenne veulent vraiment aider la région dans ses transformations démocratiques, ils doivent reformuler » leurs accords économiques avec les pays arabes, a ajouté Mohamadieh, selon le rapport publié sur le site du projet à propos de la démocratie au Moyen-Orient.

L'experte a expliqué que la crise économique reflète la détérioration des pratiques politiques. « Changer les partenariats économiques » est une étape clé pour se concentrer « sur la transition à long terme », tandis que les accords d'aide relatifs aux finances publiques « restreignent la flexibilité des pays à choisir entre différentes options » et « augmentent la dette souveraine ». En outre, la création d'emplois demande la reconstruction « des secteurs de l'agriculture, l'industrie et les services », et ne pas augmenter le produit intérieur brut, a-t-elle dit. 

Le journaliste et militant tunisien Salah Al Jourchi, coordonnateur de recherche d’ANND, a dit que dans les périodes de dictature et de répression, les organisations de la société civile se sont axées sur les droits humains, mais leurs intérêts se sont élargis depuis la chute du régime. Leurs priorités actuelles, a-t-il expliqué, sont la modification du modèle économique, « destructif » basé sur la croissance de la production, tout en s’assurant que le gouvernement respecte son engagement de convoquer des élections dans un an et que le rôle clé de la société civile dans les politiques de développement soit reconnue.

Les partis islamistes tunisiens ont eu du succès aux élections parce qu'ils ont travaillé à partir des bases, a ajouté Al Jourchi, qui a précisé, cependant, que la révolution dans son pays n'est pas religieuse, mais plutôt sociale et économique.

Abdulnabi Hasan Alekry, président de la Société pour la transparence de Bahreïn, a souligné qu'en dépit de certains problèmes dans les processus révolutionnaires, les concepts de réforme et de changement sont devenus une obsession pour les masses arabes.

Mais l'attention des gouvernements mise sur un système économique capitaliste empêche les pays d’atteindre la prospérité, a ajouté Alekry. Le Palestinien Allam Jarrar a conclu que les anciens modèles économiques ont échoué, et le Tunisien Al Jourchi a suggéré que les changements dans le système devraient commencer par une redistribution du pouvoir dans le monde.

 

Des « suggestions » pour Washington

« Dans la recherche d’un équilibre entre sa politique étrangère et ses préoccupations vis-à-vis de la sécurité, le gouvernement américain a souvent eu recours à un double standard pour évaluer les soulèvements et les révoltes populaires arabes. Parfois, ses intérêts en matière de sécurité l'ont emporté sur les appels à encourager les soulèvements populaires », indique le document récapitulatif avec des suggestions produit par des organisations de la société civile avant la visite à Washington.

Mais « l'agenda américaine de politique étrangère en ce qui concerne la sécurité de l'approvisionnement énergétique, le conflit israélo-palestinien, le terrorisme et l'islamisme radical sera mieux accompli en appuyant ouvertement et sans équivoque la volonté des peuples qui, en fin de compte, l'emportera sur les régimes oppressifs », a indiqué le texte. « Reconstruire la crédibilité de la politique étrangère américaine dans la région arabe demande un renforcement du dialogue avec tous les secteurs du spectre politique et social, y compris les organisations de la société civile. »

Le document recommande également de reconsidérer la relation économique entre les Etats-Unis et la région, car divers indicateurs, y compris l’augmentation du chômage, les inégalités et la baisse des capacités de production, « ont démasqué la déconnexion des politiques commerciales et d'investissement avec les droits des peuples, y compris le droit au développement ».

D’autre part, « l'aide américaine au développement de la région arabe a été étroitement liée à la promotion de sa politique étrangère et à ses objectifs militaires stratégiques, pas nécessairement à la promotion de la démocratie, du développement ou des droits humains ».

Les organisations ont également appelé à un audit des dettes contractées par les dictatures de l'Égypte et la Tunisie, en vue de leur annulation, car « elles sont payées par les gens et répondent à des décisions illégitimes qui limitent l'espace disponible pour l'exercice d’une politique économique et sociale démocratique et souveraine ».

Sources
Perspectives et suggestions pour améliorer des domaines clés de la politique étrangère des Etats-Unis vers la région arabe (en anglais et en format PDF) : http://bit.ly/JOw1Tj
Projet sur la démocratie au Moyen-Orient (en anglais) : http://bit.ly/J82je8