Un remède trop amer

Auteur: 
Roberto Bissio

«Imaginez-vous le FMI comme un médecin », a dit Dominique Strauss-Kahn, haute autorité du Fonds Monétaire International, au magazine allemand Der Spiegel. « L'argent est la médecine. Mais les pays, ou sont les patients, doivent changer leurs mauvaises habitudes s'ils veulent être soignés.
Il n'y a pas une autre manière ». http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,721158,00.html

Le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) croit qu'en effet il y a d'autres manières. Et une étude récente sur les politiques économiques recommandées par le FMI à 126 pays a revenu intermédiaire et à faible revenus conclut que les thérapies recommandées pour récupérer les économies peuvent être nuisibles pour les enfants et leurs mères.
http://www.unicef.org/socialpolicy/index_56435.html

En économie on peut retarder des frais pour obtenir aujourd'hui un bénéfice plus grand demain, mais pour les enfants « la fenêtre d'intervention dans le développement fœtal et la croissance des petits est limitée », rappelle UNICEF, et cela veut dire que « si les privations d'aujourd'hui ne sont pas rapidement soignées, celles-ci auront un impact irréversible sur les capacités physiques et intellectuelles, ce qui à son tour résultera dans une faible productivité comme adultes, un prix trop haut pour tout pays ».

UNICEF comprend que « fournir un soutien immédiat et adéquat aux enfants et leurs familles est un impératif urgent » et, par conséquent, « une évaluation soigneuse des risques est nécessaire, de manière d'équilibrer les politiques qui restaurent la viabilité macro-économique à moyen terme avec lesquelles qui protègent et soutiennent aux populations pauvres et vulnérables dans l'immédiat ».

Toutefois, au moment de déterminer les politiques économiques, les enfants et en général les secteurs vulnérables comptent peu. Selon un rapport confidentiel de l'Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE), avec siège à Paris, qui regroupe les pays des donneurs d'aide, « le FMI a l'obligation de former son propre avis sur les politiques macro-économiques nécessaires pour obtenir une balance de paiements soutenable et un progrès raisonnable vers la stabilité des prix. La négociation (avec chaque pays en développement) est hautement technique entre le FMI et un petit groupe de fonctionnaires de finances et la Banque Centrale, mais les implications pour la croissance économique, les frais publics et la réduction de la pauvreté peuvent être profondes ». Dans cette analyse à laquelle a eu accès l'auteur mais qui ne sera pas publiée si le FMI ne l'approuve pas, l'OCDE reconnaît des « critiques » en réclamant que « les objectifs et les buts spécifiques doivent faire l'objet d'un vaste débat ». En un tel sens, « bien qu'il y ait de bons exemples de pays énergiques qui ont persuadé le FMI à  modifier sa position, une analyse plus transparente n'a pas été institutionnalisée ».
En utilisant des données contenues dans les projections fiscales du FMI (l'étude est disponible sur: www.unicef.org/socialpolicy/index_56435.html), les chercheurs d'UNICEF Isabel Ortiz et Jingqing Chai montrent que presque la moitié des pays analysés projettent de réduire les frais publics pendant la période 2010-2011, en comparaison avec 2008-2009. Environ un quart des pays auront des réductions d'une moyenne de  6.9 pour cent, une contraction des frais publics qu'ils considèrent « préoccupants », puisque « la récupération économique est encore fragile, et la population dans beaucoup de pays en développement continue à ressentir les impacts négatifs de la crise ».
Le rapport présente les mesures d'ajustement le plus fréquentement considérées en 2009-2010 : (i) la coupure ou le frein aux salaires du secteur public ; (ii) la réduction de subventions ; y (iii) une plus grande focalisation et une rationalisation des programmes de la sécurité sociale.

L'article souligne les risques potentiels de ces mesures d'ajustement dans des enfants et des familles pauvres. Bien qu'on reconnaisse l'importance de la stabilité macro-économique et l'amélioration de la situation fiscale pour mitiger de futures crises, le rapport questionne si la trajectoire projetée d'ajustement fiscal dans quelques pays, dans des termes de son ampleur et de la vitesse de mise en œuvre, est adéquate pour protéger les foyers vulnérables.

L'expérience de contraction de frais dans les dernières décennies montre que « quand les gouvernements utilisent des coupures fiscales, les frais sociaux sont moins protégés », rappelle UNICEF. Pendant les crises des années quatre-vingt, les frais de santé, éducation et sécurité sociale ont été plus réduits que ceux de défense.

En Argentine, les ajustements fiscaux des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont réduit plus les frais sociaux et, parmi ceux-ci, les programmes d'emploi ou d'assistance focalisée dans les plus pauvres en réduisant plus les services sociaux universels (c’est à dire pour toute la population). Au Pérou, la réduction en santé dans ces périodes a été telle que la mortalité infantile a sensiblement augmentée. « Ces preuves démontrent la nécessité de défendre activement les frais pour les pauvres à des moments de contraction fiscale », concluent UNICEF, chose difficile à faire si les réductions sont décidées dans de petits cénacles secrets. Et parfois l'impact des réductions est difficile à pronostiquer.

Dans de multiples rapports du FMI sur différents pays on recommande des mesures comme des réductions de salaires, réduction ou élimination de subventions à l'alimentation ou aux carburants et une réforme ou une « rationalisation » de la protection sociale.

Bien conçues et exécutées, ces mesures devraient produire des économies fiscales que permettraient d'améliorer les services de santé et d’éducation indispensables pour réduire la pauvreté. Toutefois, dans le court terme des réductions salariales peuvent conduire à des retards dans les paiements, la réduction dans la consommation et une plus grande récession économique, avec des chutes dans la qualité des services, surtout dans les secteurs pauvres.

UNICEF a détecté une diminution du salaire réel des enseignants et des infirmiers dans un tiers des pays pendant 2009, suite à l'augmentation des prix. La moitié des pays analysés n'ont pas une rémunération adéquate, ce qui résulte en absentéisme, émigration du personnel qualifié et détérioration dans les services sociaux.

Même les mesures de soutien « focalisées » sur les pauvres, recommandées par le FMI et la Banque Mondiale, selon UNICEF  sont souvent mal conçues, elles excluent beaucoup des personnes qui ont plus de besoins ou résultent dans des processus très chers et retardés pour déterminer qui reçoit des transferts et qui non. Les transferts universels, par exemple à toutes les familles avec des enfants ou à une certaine région géographique, peuvent être préférables.

Contrairement à la direction du FMI, UNICEF considère qu'en effet il y a d'autres manières de défendre les frais sociaux à des époques de crise et énonce une longue liste d'options qui inclut l'application d'impôts progressistes (sur le revenu, sur le secteur financier, sur les automobiles ou sur les cigarettes), la réduction de l'évasion fiscale, l'élimination d'inefficacités, la réduction des frais militaires, l'utilisation des réserves accumulées dans la décennie dernière et même un changement dans les politiques macro-économiques, en permettant, comme en Indonésie, un plus grand déficit jusqu'à ce que l'économie soit récupérée.

Il ne s'agit pas de défendre les mauvaises habitudes, mais parfois le mieux est de changer de médecin… ou, au moins, d'écouter une deuxième opinion.